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Le milieu de la pratique zen : Pour une spiritualité du dialogue

Un article de Fabrice Blée (1ère partie)



Fabrice BléeFabrice Blée est professeur à la Faculté de Théologie de l'Université Saint-Paul d'Ottawa, Canada, où il enseigne la théologie des religions et le dialogue interreligieux.

Il est le directeur de la collection "Spiritualités en dialogue" aux Éditions Médiaspaul, où il a lui-même publié Désert de l'altérité (Médiaspaul 2004), un ouvrage sur le dialogue interreligieux monastique.

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Sommaire

[1] Introduction (cette page)
[2] De l'espace géographique
[3] De l'espace intérieur
[4] De la structure interne
[5] De l'éveil en toute simplicité
[6] Dialogue et renouveau contemplatif

"Le milieu de la pratique zen : Pour une spiritualité du dialogue" est paru dans la revue Origins: Journal of Cultural and Religious Studies, Centre for the Study of Traditional Culture, Zalau, Roumanie (numéro 3-4/2002). © Fabrice Blée. Reproduction interdite.


"A présent nous voyons dans un miroir et de façon confuse." (Première épître aux Corinthiens, 13:12)

Introduction

Dans Contemplation et dialogue interreligieux publié en 1993, Pierre de Béthune, bénédictin de l'Abbaye de Clerlande en Belgique, articule la spécificité du dialogue intermonastique à partir de l'attitude récente dans l'Église catholique qui consiste à adopter, en tant que chrétien, une pratique de méditation issue d'autres traditions ascétiques, principalement du bouddhisme zen. Ne sont plus rares les moines qui ont trouvé dans la pratique zen, non seulement une façon de répondre à leur désir d'une spiritualité plus incarnée, mais aussi une voie privilégiée pour entrer en dialogue avec le bouddhisme japonais en particulier et l'Orient spirituel en général. Cette tendance est par ailleurs confirmée par le tout récent document (février 2003) issu du Secrétariat international pour le dialogue interreligieux monastique qui, à l'occasion du vingt-cinquième anniversaire des Commissions monastiques pour le "dialogue", publie une série de témoignages de moines et de moniales sur la façon dont leur dialogue avec les spiritualités orientales intègre et dynamise leur recherche de Dieu [1].

Le dialogue en question est plus qu'un échange d'idées ou une connaissance théorique de la religion de l'autre. Situé au plan de l'expérience religieuse, il prend forme et s'approfondit à mesure que l'on fait l'expérience d'une autre vérité. Qualifié d'intrareligieux à la suite de R. Panikkar, ce dialogue qui se développe au cœur de l'individu est prometteur, situé à l'horizon de tout autre type de dialogue, car il permet de développer une compréhension de l'intérieur de la religion de l'autre, au-delà de ce qu'en disent les diverses interprétations, au-delà des préjugés et des concordismes faciles. Mais il est aussi exigeant, car il requiert l'accueil de l'altérité religieuse dans le respect à la fois de sa particularité, à savoir ce qui la rend inassimilable et fondamentalement différente, et de son universalité, c'est-à-dire ce qui en fait en soi une voie de libération accessible à tous, où l'individu transcende sa condition aliénante dans une expérience de la réalité ultime. Or un tel dialogue va à l'encontre de toute tentative d'assimiler l'altérité religieuse, l'unité qui en résulte s'enracinant au contraire dans la diversité pleinement acceptée.

En référence aux méditations orientales, cela signifie que celles-ci ne peuvent se réduire à des "fragments" dont la seule utilité envisageable serait de faciliter l'entrée dans une oraison typiquement chrétienne. Cela demeure certes justifiable, mais il ne peut en aucun cas s'agir de dialogue. Il y a en effet plusieurs façons d'approcher les méditations orientales qui ne débouchent pas directement sur une préoccupation dialogale. Le document de 1993 mentionné plus haut fait état de ceux qui empruntent des éléments à d'autres spiritualités sans être influencés par leur lieu d'origine, et ceux qui adhèrent à des voies de prière se présentant déjà comme des synthèses chrétiennes élaborées à partir d'une connaissance pratique des religions orientales. Le dialogue monastique repose au contraire sur une approche où la méditation "non chrétienne" adoptée révèle l'altérité propre à la tradition religieuse à laquelle elle se rattache, induisant de ce fait une transformation profonde du sujet à son contact. Or, accueillir une pratique bouddhiste dans le respect de son altérité signifie en définitive lui reconnaître l'accès à l'ultime, comme cela fut reconnu dans le cas du bouddhisme, lors du colloque théologique organisé par le Conseil pontifical pour le dialogue interreligieux (CPDI) à Kaohsiung (Taiwan), en août 1995. Il reste que défendre l'idée que zazen est la "porte vers la libération totale" (Dôgen) exige d'en avoir une compréhension qui ne soit pas réductrice.

La tentation est grande d'identifier le zen à une technique de méditation que l'on peut extraire de son contexte bouddhiste pour la greffer sur notre propre vision de la réalité, en réponse à des fins tout autant personnelles, allant de la relaxation à l'acquisition de pouvoirs, en passant par la guérison et l'épanouissement personnel, ou tout simplement pour rehausser l'intensité de sa propre spiritualité. Concevoir le zen ainsi n'est pas, me semble-t-il, lui rendre justice. Cela m'est apparu particulièrement clair à la suite de mes différents séjours à Ryûtaku-ji, un monastère rinzai fondé par Hakuin zenji dans la région de Shizuoka au Japon. Si la méditation assise (zazen) est au cœur de la pratique zen, elle dépend néanmoins d'un milieu, ordonné selon une ascèse et une philosophie spécifiques, qui lui donne son orientation de fond. Dans l'effort de la détacher de son contexte religieux propre, on récupère certes une technique de méditation qui peut ouvrir le pratiquant à des expériences authentiques et déterminantes dans son rapport au sacré, mais on perd à coup sûr l'intuition profonde du zen telle que transmise par la lignée des maîtres et dont rendent compte de façon imagée et paradoxale les différents traités. La thèse que je défends ici est la suivante : une compréhension juste du zen exige d'accueillir non pas une technique de méditation isolée, mais l'environnement qui lui donne sa cohérence et justifie son appellation. Cela oblige à élargir sa propre perception du zen en réalisant son caractère historique et subjectif, et donc pluriel et particulier. La pratique zen ne peut se réduire à une méthode objective, complète en soi, qui, applicable dans tout contexte, donnerait à chaque fois les mêmes résultats. Elle désigne bien plus un système dynamique et expérimenté, constitué de plusieurs éléments en interaction qui en assurent la cohérence, un système contextualisé sous la forme d'un entraînement (shugyô) qui, génération après génération, s'adapte et s'améliore - mais qui peut tout à l'inverse se scléroser -, en bénéficiant des intuitions et des modifications des maîtres successifs et dont la raison d'être se situe dans la préservation et la transmission de l'expérience d'éveil (satori). Si, pour saisir l'intuition du zen, la connaissance expérimentale est essentielle, il faut aussi veiller à ce qu'elle s'acquière dans une intégration de son background culturel, historique, psychologique, philosophique et religieux.

Compte tenu de ce qui vient d'être dit, le milieu systémique de la pratique zen remplit une double fonction qui s'avère déterminante dans l'approche dialogale. D'un côté, il garantit la spécificité et l'authenticité de la pratique zen ; de l'autre, il est le lieu par excellence où s'instaure cette connivence entre les moines des différentes traditions religieuses qui a souvent été rapportée à la suite d'échanges interreligieux [2]. Bien que spécifique, le milieu de la méditation zen est foncièrement monastique en ce sens que des contemplatifs d'autres traditions peuvent se sentir en terrain familier, tout en prenant conscience des différences qui les distinguent les uns des autres. Si, effectivement, l'hospitalité est la pierre angulaire de la rencontre des monachismes, elle doit se comprendre, plus encore lorsqu'elle implique l'adoption d'autres voies d'oraison, en fonction d'une conscience des milieux contemplatifs de chacun. C'est ce à quoi je m'efforcerai de sensibiliser le lecteur dans la dernière partie de ce travail. Mais pour ce faire, il convient au préalable d'explorer dans les grandes lignes le milieu de la pratique zen. D'un point de vue méthodologique, il doit être établi que, s'il existe un milieu monastique où les moines chrétiens et autres peuvent reconnaître la nature essentielle de leur vocation respective, il ne se trouve pas en tant que réalité objective, mais n'est accessible que contextualisé (Sitz im Leben), ancré dans un cadre qui affirme l'irréductibilité de sa spécificité. Ici, le moine ne peut saisir le reflet de ses aspirations profondes que dans ce qui lui est différent et étranger, et non dans un modèle monastique pré-établi, auquel personne ne saurait en définitive revendiquer son appartenance. S'il y a effectivement connivence entre les moines, on ne peut y accéder qu'en s'engageant à faire l'expérience de l'environnement ascétique et spirituel de l'autre.

Fidèle à cette logique, je propose une articulation du milieu monastique à partir de ma propre expérience de la pratique zen à Ryûtaku-ji, où mon premier séjour, d'une durée de trois mois, eut lieu en hiver 2000. J'y suis retourné les deux années suivantes à l'occasion du sesshin d'hiver (rôhatsu), toujours sous la direction de Kyûdô Nakagawa rôshi. Dans cette brève étude, mon intention n'est pas de présenter les étapes de la vie du moine zen, mais de montrer, dans l'intérêt d'un dialogue interreligieux, comment la méditation assise dépend, dans son orientation de fond, du milieu dans lequel elle s'inscrit et dont je retiens, à cette fin, quatre aspects : l'espace géographique, l'espace intérieur, la structure interne et l'éveil en toute simplicité. Sans prétendre apporter des solutions, cette articulation repose sur des intuitions qui demandent à être questionnées et développées en fonction des expériences de chacun, mais qui, je l'espère, peuvent néanmoins contribuer à la recherche des critères à l'égard des personnes engagées ou qui veulent s'engager sur ces nouveaux chemins de dialogue. (.../...)

Notes

[1] Expériences monastiques de dialogue interreligieux, Bulletin International des Commissions pour le dialogue interreligieux monastique, numéro spécial (F. 14). [Retour].

[2] L'activité principale des moines en dialogue consiste en un programme d'hospitalité mis sur pied tant en Europe (1979) qu'aux États-Unis (1982) et qui permet, d'un côté, à des moines chrétiens de vivre plusieurs semaines dans des monastères bouddhiques au Japon, au Tibet ou en Inde et, de l'autre, à des moines bouddhistes de séjourner plusieurs mois dans des abbayes occidentales. [Retour].