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Le milieu de la pratique zen : Pour une spiritualité du dialogue

Un article de Fabrice Blée (3e partie)



Fabrice BléeFabrice Blée est professeur à la Faculté de Théologie de l'Université Saint-Paul d'Ottawa, Canada, où il enseigne la théologie des religions et le dialogue interreligieux.

Il est le directeur de la collection "Spiritualités en dialogue" aux Éditions Médiaspaul, où il a lui-même publié Désert de l'altérité (Médiaspaul 2004), un ouvrage sur le dialogue interreligieux monastique.

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Sommaire

[1] Introduction
[2] De l'espace géographique
[3] De l'espace intérieur (cette page)
[4] De la structure interne
[5] De l'éveil en toute simplicité
[6] Dialogue et renouveau contemplatif

"Le milieu de la pratique zen : Pour une spiritualité du dialogue" est paru dans la revue Origins: Journal of Cultural and Religious Studies, Centre for the Study of Traditional Culture, Zalau, Roumanie (numéro 3-4/2002). © Fabrice Blée. Reproduction interdite.



2. De l'espace intérieur

L'espace géographique tire sa cohérence et sa puissance symbolique de l'espace intérieur - que j'ai représenté par un carré -, dans lequel il s'enracine et qui se réfère à un état non rationnel, profondément ancré chez l'humain, s'imposant à soi et qui ne se devine que par ses effets que sont l'angoisse inexpliquée, le mal-être, mais aussi le désir intense d'y mettre fin, l'émerveillement, la recherche profonde d'unité et de paix, ou encore le "goût de l'être" [1]. L'espace intérieur renvoie ainsi à une double dynamique qui constitue le fondement de la pratique zen ; il s'apparente d'abord à une brèche qui, du for intérieur, défie toute évidence et se traduit par une insatisfaction existentielle et récurrente à un point tel qu'il est difficile de trouver sa place dans ce monde en apparence favorable et sans faille. Cet espace est comme une plaie ouverte (dukkha) qui empêche de se satisfaire de la routine, des conforts, des convenances et des traditions, avec la ferme conviction que quelque chose ne va pas et que ce monde n'est pas ce qu'il prétend être. C'est le grand doute (daigidan), essentiel pour une pratique zen orientée vers la réalisation du satori. Mais l'espace intérieur est aussi une source d'espérance, confiant que le véritable bonheur se substituera un jour au vide ressenti. D'un point de vue bouddhiste, c'est la grande foi (daishinkon), la foi en la nature de bouddha présente en tout être vivant, et surtout en la possibilité réelle de s'y éveiller (bodhicitta), sans quoi zazen ne saurait donner les fruits escomptés.

Quand la grande foi s'unit au grand doute, naît alors la quête de la vérité qui incite au dépassement de soi et dispose l'individu à être attentif à la nouveauté, à garder l'esprit du débutant et à s'éveiller à tout moment, une attitude cruciale dans la pratique de la méditation, car ce qui assure le succès dans la quête de l'éveil, soutient Yasutani rôshi, ce n'est pas une posture particulière, mais un désir ardent pour la vérité en elle-même. H. M. E. Lassalle va dans le même sens, lorsqu'il affirme que "si l'on n'est pas disposé à tendre de tout coeur à la perfection, on ne tirera guère de fruit, voire aucun fruit, de cette méthode (zazen), et mieux vaudra ne pas s'y engager" (Méditation zen et prière chrétienne, Paris, Cerf, 1973, p. 208).

Cette quête pousse également à sortir de l'anonymat et à marcher à contre-courant. Cet anti-conformisme est bien connu du moine : "Au cours du temps, il est apparu comme celui qui navigue contre le vent, à la recherche de la source" (Panikkar, op. cit., p. 53). Pressé par l'urgence de dévoiler l'imposture, le moine cherche à donner corps à son aspiration primordiale, dont la naissance marque le véritable commencement de la vie spirituelle [2].

L'aspiration ne fait pas le moine. Si cette dernière s'impose à soi pour diverses raisons, on peut s'efforcer de l'ignorer en la noyant dans le bruit de distractions diverses, même si, au fond, on sait que cela ne résoud rien et que si la perspective de l'affronter semble périlleuse, celle de ne rien faire n'offre aucun espoir sinon de subir la fatalité. On peut alors tenter de trouver des réponses à travers des lectures et des consultations diverses, mais la quête ne saurait aboutir, à moins de décider de faire le pas décisif, celui de franchir l'espace géographique. À l'instar de Milarepa, il faut permettre à son aspiration de s'exprimer dans une action concrète et de devenir sa principale raison d'être. Mû par la peur de la mort, le plus grand des yogis est allé dans les montagnes enneigées pour y méditer sur l'incertitude de son heure, et après avoir réalisé l'éveil, il a vu sa peur au loin s'éloigner. Tant que la double dynamique exposée plus haut ne conduit pas au renoncement et à la détermination de trouver la vérité, l'espace intérieur est appelé à demeurer cette brèche inconfortable, et l'aspiration primordiale un idéal duquel on s'éloigne toujours un peu plus. Il s'agit de se donner les moyens d'actualiser dans la vie quotidienne les quatre aspects majeurs de l'élan intérieur : l'aspiration à l'unité en réponse à un manque profond et irrationnel ; l'aspiration à quitter l'environnement familier pour se retrouver en situation où tout redevient possible ; l'aspiration à une transformation de soi, prêt à mourir à soi pour renaître à un état de plus grande authenticité ; et l'aspiration à surmonter toute difficulté dans l'effort de mettre fin à l'aliénation.

Les deux espaces, intérieur et géographique, s'appellent l'un l'autre et, de leur réunion seulement, les réponses émergent. II n'y a de réponse à l'aspiration primordiale que corporelle, surgissant à la source de la vie, dans les dimensions naturelle, brute et inconsciente de sa condition. Selon D. T. Suzuki, voir la signification du zen n'est pas suffisant, il doit être totalement assimilé dans toutes les fibres de son existence. Entrer dans l'espace géographique, c'est aspirer à l'unité avec l'ensemble de l'univers, à réaliser l'interdépendance de toutes choses, une tâche impossible sans l'effort de pénétrer sa propre terre [3]. L'énigme (kôan) que le moine zen est appelé à garder continuellement à l'esprit, et qui en définitive revient à se demander : "qui suis-je ?", ne peut trouver de réponse au plan intellectuel. Mu n'a de solution que profondément ancré dans le hara. Ici, la question ne se pense pas, il faut la devenir en s'y concentrant avec ses 360 os et ses 64 000 pores ; alors seulement est-il possible de "toucher les choses" (koto ni fureru). Énigme et connaissance de soi vont de pair et culminent dans zazen jusqu'à l'éclatement de la vérité et la libération de toute souffrance. Finalement, l'espace géographique est l'extériorisation de l'espace intérieur, nécessaire pour que l'aspiration primordiale s'incarne dans un processus de transformation de soi et se résolve dans la plénitude de l'éveil. (.../...)

Notes

[1] Cette expression de Teilhard de Chardin désigne la capacité que l'être humain a de sentir la présence divine. [Retour].

[2] Le moine zen a conscience que le temps est précieux, encouragé à ne pas le gaspiller et à l'employer pour réaliser l'éveil avant qu'il ne soit trop tard, ne sachant à quel moment la mort surgira. Cela lui est rappelé à l'entrée du temple où il est écrit : "Vie et mort sont des événements graves : comme la vie est passagère! Chaque instant nous est mesuré ; le temps ne se lamente sur personne." Cf. D. T. Suzuki, The Training of the Zen Buddhist Monk, ibid., p. 9. [Retour].

[3] K. G. Dürckheim écrit : "Toute élévation spirituelle implique préalablement une descente au centre de la terre." (Hara, centre vital de l'homme, Courrier du Livre, 1974, p. 61.) [Retour].