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Qu'est-ce qu'un kôan ?


Dongshan et Shenshan étaient en pèlerinage lorsqu’ils virent des fanes de légumes emportés par un torrent de montagne.
Dongshan dit : "Il y a sûrement quelqu'un qui pratique le bouddhisme par ici." Ils se mirent à le chercher quand ils virent un ermite.
Celui-ci leur dit : "Il n’y a pas de chemin dans cette montagne, par où mes deux visiteurs sont-ils venus ?"
Dongshan dit : "Laissons cela, mais vous, par où êtes-vous entré ?"
L'ermite dit : "Je n'ai suivi ni les nuages ni le courant de l'eau."
Dongshan dit : "Depuis combien de temps vivez-vous ici ?"
L'ermite répondit : "Je ne me préoccupe pas des années qui passent."
Dongshan dit : "Mais qui vivait là en premier, vous ou la montagne ?"
L'ermite répondit : "Je ne sais pas."
Dongshan dit : "Et pourquoi ne le savez-vous pas ?"
L'ermite dit : "Je ne suis pas venu pour les hommes ou pour les dieux."
Dongshan lui demanda encore : "Pourquoi êtes-vous venu alors ?"
L'ermite dit : "J’ai vu deux bœufs de glaise combattre et entrer dans la mer. Depuis, je ne les ai plus entendu."
(Shinji Shôbôgenzô, "Le trésor de l'œil de la vraie loi en caractères chinois", 222e cas)


Plus Dongshan traversant le gué (DR)connue sous sa dénomination japonaise de zen, la tradition chan, apparue en Chine aux alentours des VIIe et VIIIe siècles, connaît un grand développement sous les dynasties Song (Xe-XIIIe siècle) jusqu'à éclipser toutes les autres écoles bouddhistes. Durant cette période faste, elle produit une littérature originale composée pour l'essentiel d'entretiens de moines chinois. Compilés à la suite, maître après maître, ces échanges ou ces propos, forment des ouvrages de parfois plusieurs milliers de pages. Les historiettes, elles-mêmes fort brèves, sont connues sous le nom de gongan (prononcé kôan à la Japonaise).

Le terme de gongan est emprunté au vocabulaire juridique de la Chine ancienne. Il désignait les décisions officielles des bureaux gouvernementaux qui faisaient force de loi. Les moines chinois considéraient ces dialogues comme des expressions de l'éveil qui renouvelaient, à leur façon, la parole bouddhique. Elles devaient nécessairement faire autorité pour les générations suivantes. Sans doute, parce que ces manières de s'exprimer convenaient plus à l'âme chinoise, ces recueils de propos devinrent les livres essentiels de l'école. Ceux que l'on lisait, que l'on étudiait et que l'on commentait.

Des anthologies de gongan furent publiées, plus maniables que certains de ces volumes imposants. Le plus souvent agrémentés de commentaires et de poèmes, ces ouvrages furent très vite en vogue dans les milieux chan. Jusqu'à présent, cette littérature n'a guère été traduite dans les langues occidentales. Les gongan et les remarques qui les accompagnent sont écrits dans une langue vulgaire souvent obscure que fort peu de spécialistes peuvent aujourd'hui décrypter. Le gongan cité figure dans une compilation de trois cents de ces anecdotes composée par Dôgen (1200-1253), l'un des premiers introducteurs du zen au Japon. Il s'en servait apparemment comme d'un aide-mémoire pour ses enseignements.

Le gongan est généralement court. Il excède rarement une quinzaine de lignes et tient parfois en quelques mots. L'échange est la forme commune comme dans ce dialogue qui met aux prises Dongshan (807-869) et un ermite. Bien qu'il ne soit pas ici nommé, l'ermite n'est autre que Longshan, l'un des disciples de Mazu (709-788), l'un des grands maîtres chan de l'époque Tang.

Dongshan et Shenshan, son condisciple, sont en pèlerinage. Pratique fondamentale du bouddhisme chan, le pèlerinage consiste à visiter un ou plusieurs maîtres, qu'ils soient établis dans un monastère, dans un temple plus modeste, ou qu'ils vivent simplement en ermite. Le but de ces pérégrinations : trouver un éveilleur, un maître à même de pouvoir bouleverser ses interlocuteurs, par la rencontre, mais aussi par la parole. Car le pèlerinage est un exercice d'interrogation. Pour tous ces moines, le langage n'est pas juste une affaire de communication. Selon l'expression zen, chacun recherche la "parole vive", celle qui les transpercera totalement et les fera accéder à l'éveil intérieur. Les gongan sont souvent remplis de formules déroutantes, inattendues et même paradoxales. Le caractère conventionnel du langage doit être dépassé au profit d'une parole vive qui ouvre sur une dimension d'éveil.

En Chine, la tradition chan s'est rapidement scindée en plusieurs sous-écoles. Mais les distinctions, loin d'être doctrinales, reflètent surtout des styles d'enseignement et de diction différents. Linji (mort en 866), un célèbre maître chan de l'époque Tang, était connu pour ses manières et ses paroles brusques. On raconte qu'un jour, l'administrateur de son monastère revint de la grande ville voisine et lui déclara qu'il avait vendu tout le grain. Linji traça un trait devant lui à l'aide d'un bâton et demanda : "As-tu aussi vendu ceci ?" Le gongan précise que l'administrateur poussa alors un cri et que Linji lui donna un coup. D'autres moines sont moins rugueux, Dongshan, l'interlocuteur de l'ermite, est ainsi connu pour ses poèmes finement ciselés.

En même temps que l'on prit l'habitude de compiler et de commenter ces gongan, une méthode originale de méditation se développa dans la tradition chan. Bien nommée "la méditation qui regarde le mot", elle prend pour objet un gongan. Dans cet exercice, qui se pratique dans le cadre formel de la méditation assise, le méditant ne réfléchit pas sur le sens de l'échange, mais tente, par une concentration ininterrompue, de s'absorber, de s'unifier avec l'expression-clé du gongan (le dialogue complet n'est pas répété, une expression est simplement privilégiée), jusqu'à ce qu'il réalise une expérience d'éveil (satori en japonais). La méthode qui s'est développée dans l'école de Linji, Rinzai en japonais, connaît plusieurs variantes. Plus le dialogue résiste à une interprétation intellectuelle, plus le gongan est considéré comme pertinent.


Reproduction : Dongshan traversant le gué (DR). Reproduction interdite.


Lectures conseillées :

- Entretiens de Lin-tsi, traduits et commentés par Paul Demiéville, Paris, Fayard, 1972, une très belle traduction annotée des entretiens de Linji par l'un des meilleurs spécialistes du bouddhisme extrême-oriental, aujourd'hui disparu.
- Toshihikô Izutsu, Le kôan zen, Paris, Fayard, 1978, un livre original, un peu difficile d'accès.
- Bernard Faure, "Du kôan au mantra : Les rapports du Zen et du bouddhisme tantrique", Connaissance des Religions, 2000. Article en ligne.


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