Accueil - Sommaire
La méditation
Activités - Groupes
L'enseignant
Toucher le cœur
Les rendez-vous
Qu'est-ce que le Zen ?
Orient-Occident
Essais
Causeries
Enseignements
Textes classiques
Télécharger
Le réseau BASE
Le blog zen
Bodhidharma
Dôgen
Gudô
Jiun sonja
Album photos
Expériences
Digressions
Humour
Bouquins
FAQ
Poésie
Section membres
Mises à jour
Plan du site
Nous soutenir
Mentions légales


Une recherche rapide par mot-clé sur le site ?



Recevoir la lettre d'information ainsi que la liste des mises à jour mensuelles :







Un poème du Eihei Kôroku

commenté par Nishijima rôshi


"Le recueil complet d'Eihei" (Eihei Kôroku) rassemble l'ensemble des prédications formelles et des poésies en chinois du maître Eihei Dôgen (1200-1253), le fondateur de l'école japonaise sôtô. Il s'agit le plus souvent de prêches formels, "des montées en salle", rédigés dans une prose rythmée, un style particulier de l'époque Song. Les stances bouddhiques sont nombreuses : des geju, généralement des quatrains de quatre fois sept pieds et des juko, une variante des geju, qui sont des commentaires versifiés de kôan. Le quatrain traduit et commenté mot à mot par Nishijima rôshi se trouve à la section 21 du dixième fascicule de ce Recueil.

Traduction française Michel Proulx. Lire la version originale anglaise.


10-14 février 1998

Le 21e poème du dixième livre du Eihei Kôroku a directement été écrit par maître Dôgen en chinois. Tous les lettrés japonais de l'époque lisaient le chinois, de sorte qu'il a préféré exprimer ses idées directement dans cette langue. Maître Dôgen était déjà familiarisé avec elle avant de se rendre en Chine. On a ajouté par la suite une prononciation japonaise de lecture, de sorte que la prononciation japonaise est différente de la prononciation d'origine. Des particules grammaticales supplémentaires sont nécessaires pour la lecture en japonais.

La prononciation japonaise de la version chinoise est :

Sekishin hempen to shite manten u nari / Jikini semmu ichikaku o e kitaru
Kotai imada akiramezu san hachi kyu / Hitotabi gisai shi owatte hitotabi gisai su.

 

1er vers : Sekishin hempen to shite manten u nari

Seki signifie "rouge, nu, sans décoration". Par exemple, la peau est rouge lorsque le corps est dénudé. De sorte que "rouge" suggère que rien ne recouvre la peau. C'est comme l'esprit d'un bébé. Pas d'éducation dessus, pas d'entraînement, rien. C'est notre état le plus simple, un état de bébé, un esprit nu, comme une peau rouge qui n'est pas recouverte.

Shin signifie "esprit". Mais il faut comprendre que pour les Japonais, l'esprit a un sens plus général que pour les Occidentaux. Pour un Japonais, par exemple, il n'y a pas une séparation aussi tranchée entre le mental (l'esprit) d'un côté et les émotions physiques (le cœur) de l'autre, entre l'esprit et les émotions. De sorte que la notion d'esprit en japonais est plus proche du cœur qu'en Occident. Pour les Occidentaux, l'esprit signifie quelque chose de logique, de spirituel, et le cœur signifie l'émotion, l'amour. Ces deux notions sont pour un Occidental très différenciée. Mais pour un Japonais, il n'existe pas une distinction très nette entre les deux. Par exemple, dans le dictionnaire (A guide to remembering Japanese characters, Henshall, Tuttle Language Library, 1988) l'idéogramme shin signifie "cœur", mais il peut être utilisé de façon figurée pour désigner "le sentiment" ou "l'esprit". Il évoque le dessin d'un cœur dont les traits ont été stylisés. Shin, en japonais, se prononce kokoro, comme dans magokoro (la sincérité). Shin est donc le "cœur-esprit", c'est une sorte d'union entre quelque chose d'émotionnel (le cœur) et quelque chose de spirituel (le mental). Donc, si nous comprenons shin comme "mind" en anglais, ou "esprit" en français, on oublie un aspect. En ce sens, il vaut mieux comprendre shin comme "conscience" plutôt que comme "esprit". Mais dans le poème, nous le traduirons par "esprit" car "conscience" a une connotation trop scientifique. Le concept japonais d'esprit représente l'esprit ordinaire quotidien, ni complètement spirituel (l'esprit), ni complètement physique (le cœur).

Sekishin signifie donc l'esprit nu comme celui d'un bébé, ce qui signifie un esprit sincère, honnête, originel, ou plus précisément une conscience sincère, honnête comme celle d'un bébé qui ne pense pas autant qu'un adulte (qui lui a beaucoup de "savoir" et de vêtements sociaux) mais qui agit simplement à chaque instant sans penser à cette action elle-même. Sincère et honnête suggère des valeurs morales, mais en même temps simplement l'esprit d'un bébé, simple, sans intention.

Hempen est la répétition d'un même idéogramme. Hen signifie "morceau", de sorte que hempen signifie "morceau-morceau". Le terme ne suggère pas une dualité comme "deux morceaux" par opposition à ippen ("un-morceau"). Il évoque simplement le moment présent, maintenant, à tout moment, à chaque instant, et dans le contexte du poème, agir sincèrement dans l'instant même (hempen). Maître Dôgen s'est servi de la répétition comme d'une façon de souligner. Si nous répétons un mot deux fois, il a plus de poids que si nous ne le disons qu'une seule fois. Maître Dôgen ne voulait pas suggérer une dislocation mais insister sur ce mot "morceau", ce qui signifie dans le contexte de son poème, "chaque morceau de moment", "chaque morceau de moment". Ce qui est important n'est pas tant la répétition elle-même, mais la notion de "maintenant". La répétition sert seulement à montrer l'importance de ce "Maintenant", de chaque moment présent.

Donc, encore une fois, attention, parce que "maintenant-maintenant" peut aussi être interprété comme étant deux "maintenant" répétés à des moments différents, comme disloqués, mais Maître Dôgen parle de deux "maintenant" qui ont lieu à tout moment, à cet instant, à ce moment, de sorte que la différence de temps n'est pas importante, la dislocation n'est pas importante.

Il est donc important de ne pas interpréter hempen de façon intellectuelle, logique, mais d'en saisir l'idée, le sens, qui est la description d'actes au moment présent. "Morceau, morceau", "un morceau de moment, un morceau de moment", "maintenant, maintenant", "ici, ici".

Sekishin hempen signifie donc "esprit nu au moment présent, esprit sincère au moment présent".

To shite est une forme japonaise ajoutée à la version chinoise originale, nécessaire pour pouvoir lire la phrase en japonais. To shite signifie "avec" ou "comme". Man signifie "entier". Ten signifie "ciel".

Manten signifie donc "tout le ciel", ce qui suggère tout l'univers. Manten a un sens plus large que simplement "le ciel". Un peu comme "Heavens" en anglais, ou "les Cieux" en français, mais sans connotation religieuse.

Donc, pour répondre à la question de la métaphore entre l'esprit comparé non pas à un ciel bleu, mais à un ciel d'orage, Maître Nishijima n'utilise pas ce genre de métaphore, il traduit manten par "le ciel entier", c'est-à-dire tout l'univers, et non pas un ciel de tempête, ce qui suggèrerait un esprit agité de beaucoup de questions.

U signifie "exister", ou "être". Nari est un ancien mot japonais qui signifie "est", tout comme desu, en japonais moderne. U nari signifie donc "est existant, il y a".

Donc, Sekishin hempen to shite manten u nari signifie : "D'un esprit sincère à tout moment, les cieux entiers existent", ou : "D'un esprit (une attitude) originel à chaque instant, l'ensemble de l'Univers existe". Si nous agissons réellement à chaque instant, l'ensemble de l'Univers n'est pas séparé de nous.  


2e vers : Jikini semmu ichikaku o e kitaru

Jikini signifie "directement". Sen signifie "des milliers". Mu signifie "rêves". Ichi signifie "un". Un veut dire ici un, total, entier. Kaku signifie "éveil, réalisation".

Ichi kaku signifie "s'éveiller totalement, un éveil total". Mais ce n'est pas le satori, quelque chose de spécial, c'est seulement être au moment présent, c'est un éveil normal, un éveil instantané, un éveil à chaque instant, un éveil à tout moment.

O est une particule grammaticale pour désigner un objet. E signifie "obtenir". Kitaru signifie "est venu", un passé composé en l'occurrence.

Jikini semmu ichikaku o e kitaru signifie : "Directement, j'ai eu des milliers de rêves et une seule réalité", ce qui sous-entend quelque chose comme : "En nous fondant sur la pratique, nous pouvons avoir diverses sortes de rêves et une vérité". En zazen, même si nous avons beaucoup de pensées ou de rêves, nous sommes quand même assis dans la vérité, dans la réalité.  


3e vers : Kotai imada akiramezu san hachi kyu

Ko signifie "entier". Tai signifie "corps" (il s'agit d'un ancien idéogramme). Imada signifie "pas encore". Akiramezu signifie "pas rendu clair, pas éclairci". San signifie "trois", les trois trésors, le Bouddha, le Dharma et le Sangha. Hachi signifie "huit", l'Octuple Sentier (vue correcte, pensée correctes, parole correcte), Kyu signifie "neuf". Maître Nishijima suggère l'interprétation (cf. le chapitre Bukkyô du Shôbôgenzô) que Maître Dôgen dit : "Neuf parties et sortes de sûtras bouddhistes" qui pourraient être appelés "les neuf divisions des sûtras bouddhistes".

Les neuf divisions :

1- Sûtras, 2- Gâthâs, 3- Episodes passés, 4- Vies passées, 5- Ce qui est sans précédent, 6- [Comptes-rendus des] causes et circonstances, 7- Paraboles, 8- Geya, 9- Upadesa.

On trouvera plus de détails dans ce chapitre.

En passant, il y a un commentaire qui dit que cela pourrait renvoyer à un jeu chinois et japonais appelé Chohan, qui se joue avec deux dés. On les jette et si la somme égale neuf, c'est le score le plus élevé. 0 est le score le plus bas. Dans ce jeu, 9 + 1 = 0 (et non pas 10), et 3 + 8 + 9 = 0 (et non pas 20). En parallèle, nous expliquerons plus tard que la théorie bouddhiste abstraite n'a pas de valeur par elle-même sans la pratique, ce qui signifie que la théorie bouddhiste sans la pratique est parfois trompeuse, et donc que même si 3, 8 et 9 ont beaucoup de valeur en eux-mêmes, leur somme n'en a aucune.

Donc, 3-8-9 suggère l'enseignement théorique du bouddhisme.

Kotai imada akiramezu san hachi kyu signifie : "Le corps entier n'a pas éclairci 3-8-9". ce vers suggère que lorsque nous sommes assis en zazen, ou lorsque nous agissons sincèrement pendant la journée, nous ne comprenons pas intellectuellement les enseignements bouddhistes, mais nous agissons, tout simplement (au sens de Maître Nishijima, c'est-à-dire quand nous pratiquons zazen tout autant que dans n'importe quel acte de la vie quotidienne). 


4e vers : Hitotabi gisai shi owatte hitotabi gisai su

Maître Nishijima traduit ce vers en japonais de façon assez différente. Sa version est : Hitotabi gisai shi owatte hito tabi gisai su. Ichi signifie un, mais en japonais, lorsque nous comptons un temps, en japonais, nous utilisons le terme de hitotabi.

Hito signifie "un". Tabi est un additif, c'est un marqueur pour décompter le temps. Hitotabi signifie donc "une fois". Gisai signifie "doute". Doute signifie questions, ou problèmes. Owatte signifie "finir". Gisai shi owatte signifie donc "finir d'avoir des doutes". Gisai su signifie "avoir des doutes".

Hitotabi gisai shi owatte hitotabi gisai su signifie donc : "Après avoir fini un doute, en surgit un autre". Maître Dôgen décrivait des Bouddhas transcendants, ce qui signifie des Bouddhas qui se dépassent, même après la réalisation, ce qui est différent de l'idée qu'une fois la réalisation venue, il n'y a plus de problèmes. Il y a la vie ordinaire dans laquelle même les Bouddhas s'améliorent. Donc, même si un Bouddha a réalisé la vérité, il doit continuer à pratiquer zazen.

Ce poème dit que si nous sommes sincères à chaque instant, alors le Ciel peut exister. Même si nous avons fait l'expérience de la réalisation, il existe de nombreux doutes et après un doute en surgit un autre. Toujours en progrès. Toujours quelque chose à faire.

La traduction française serait donc :

D'un esprit sincère à chaque instant, le Ciel tout entier existe
Directement, j'ai des milliers de rêves et une réalité
Le corps tout entier n'a pas éclairci 3-8-9
Quand j'en ai fini avec un doute, un autre surgit.

Reproduction interdite.


Vous êtes ici : Sommaire général >>> Gudô >>> Nishijima rôshi commente un poème de Dôgen (version française)



| Accueil - Sommaire | La méditation | Activités - Groupes | L'enseignant | Toucher le cœur | Les rendez-vous | Qu'est-ce que le Zen ? | Orient-Occident | Essais | Causeries | Enseignements | Textes classiques | Télécharger | Le réseau BASE | Le blog zen | Bodhidharma | Dôgen | Gudô | Jiun sonja | Album photos | Expériences | Les digressions | Humour | Les bouquins | La foire aux questions | Poésie | Section membres | Les mises à jour | Le plan du site | Nous soutenir | Mentions légales |