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Les digressions d'avril 2005

Bodhidharma serait-il venu à l'est ?

L'œuvre du romancier russe Viktor Pelevine


- Ah! Petka, Petka, soupira Tchapaïev. J'ai connu un communiste chinois nommé Tseu Zhuang. Dans ses songes, il se voyait comme un papillon rouge qui voletait dans l'herbe. Et lorsqu'il se réveillait, il ne parvenait pas à comprendre s'il était un papillon qui rêvait qu'il faisait de l'action clandestine, ou un révolutionnaire qui planait de fleur en fleur. Un jour en Mongolie, on arrêta ce Tseu Zhuang pour sabotage. Au cours de son interrogatoire, il dit qu'il était en réalité un papillon qui voyait tout cela dans un rêve. Comme c'était le baron Jungern qui l'interrogeait et que c'est un homme très clairvoyant, il lui demanda pourquoi ce papillon travaillait pour les communistes. Tseu répondit qu'il n'était pas pour les communistes. Alors pourquoi menait-il des activités subversives ? Il répondit que toutes les actions humaines étaient tellement laides que cela n'avait pas la moindre importance de savoir de quel côté on se trouvait.
- Et après ? Que s'est-il passé ?
- Rien. Ils l'ont collé contre un mur et réveillé ?
- Et lui ?
Tchapaïev haussa les épaules.
- Je suppose qu'il a continué son vol.
La mitrailleuse d'argile, Éditions du Seuil, collection Points, 2005, pp. 258-259.

BodhidharmaSi l'on demandait à quelque pratiquant russe du Zen ce qui l'a poussé un jour à méditer, il ne serait pas surprenant d'entendre une réponse inattendue : "C'est Pelevine et son roman La mitrailleuse d'argile..."



Qui Victor Pelevineest le mystérieux Viktor Pelevine, ce jeune écrivain russe qui fuit les interviews et qui n'apparaît en public qu'affublé de lunettes noires ?

Après une formation d'ingénieur et des études de littérature, Pelevine, né en 1962, débute par quelques articles consacrés au mysticisme oriental publiés dans le magazine La science et la religion. Il écrit ensuite des nouvelles dans différents magazines littéraires. Mais c'est La mitrailleuse d'argile, son premier roman publié en 1976, qui le fait connaître et le propulse sur la scène littéraire moscovite. En quelques mois, il devient un auteur culte pour toute une nouvelle génération. Depuis ce premier succès, Pelevine a publié de nombreux autres nouvelles et romans qui ont, pour la plupart, été traduits à l'étranger. Populaire en Allemagne et jusqu'au Japon, salué par la critique internationale comme le chef de file de la nouvelle génération des écrivains russes, son œuvre n'est cependant pas au goût de tous ses compatriotes. Récemment, Pelevine est devenu la cible des milieux nationalistes russes. Marchons ensemble, une organisation soucieuse de la défense des "valeurs authentiques russes", proche de Vladimir Poutine, jette publiquement les livres de Pelevine aux toilettes lors de simulacres d'autodafés. Quant à l'Union des Écrivains Russes, elle qualifie son œuvre de "tumeur cancéreuse de la littérature". Ses nombreux détracteurs voient en lui, tour à tour, "un pornographe", "un drogué", "un écrivain anti-russe" ou "un bouddhiste"!

Au moins ce dernier qualificatif ne sera pas refusé par Pelevine qui se revendique comme tel. Lui-même l'avoue, il s'intéressa à cette tradition dès son plus jeune âge. Dans l'Union Soviétique de l'époque, la littérature religieuse était inaccessible, mais au moins trouvait-on "des manuels d'athéisme" qui servaient aux cours d'athéisme scientifique. Pelevine s'initia au bouddhisme par la lecture de l'un de ces ouvrages qui n'était pas sans rappeler, note-t-il aujourd'hui, le célèbre ouvrage du philosophe américain William James, Les formes multiples de l'expérience religieuse, publié au début du vingtième siècle. Le bouddhisme lui semblait alors l'une des seules religions qui ne ressemblait pas à la "mainmise du pouvoir soviétique sur l'esprit". Devenu adulte, Pelevine pu s'adonner à de longues retraites dans les temples zen de Corée du Sud.

Dans l'une des rares interviews qu'il consentit à donner, Pelevine explique sa pratique : "Je lève les yeux, devant moi il y a un mur. Il est de couleur blanche. Je ne pense pas que ces mots vous impressionnent mais c'est le mystère le plus important dans le monde. À ça, on ne peut rien ajouter d'autre." Lors d'une conférence à l'Université de Tôkyô, quelqu'un le questionne sur ses voyages en Corée. Non, dit-il, il ne voit pas de grandes différences entre la pratique du Zen en Corée et celle au Japon. Il ajoute cependant, non sans humour : "J'admets cependant que le mur japonais sera deux fois plus cher et le tapis de méditation cousu plus soigneusement, mais cela, je vous l'assure, n'a aucun effet sur le résultat."

Pelevine craint que son œuvre soit simplement lue comme une peinture sombre de la réalité russe. "Je ne parle pas de la Russie, comme on pourrait le croire au premier abord. Je raconte l'histoire de l'homme qui construit une prison autour de lui et qui, en échange, obtient la réclusion à perpétuité." Malheureusement, la critique n'y voit souvent qu'une diatribe sur la société russe contemporaine.

La Mitrailleuse d'argileLes romans de Pelevine, sont largement inspirés par le bouddhisme. La trame narrative est souvent identique : un héros souffre, cherche, il rencontre un maître de vie qui le conduit vers "la Mongolie intérieure". La Mitrailleuse d'argile suit cette trame. Le héros est un jeune poète nommé Piotr Poustota (en russe Poustota signifie "le vide"...). Par hasard, celui-ci devient commissaire politique de l'Armée Rouge dans les années vingt. Il rencontre alors un personnage, un certain Tchapaïev. Et puis non, on apprend ensuite que Piotr a une seconde existence, qu'il est en fait soigné pour une schizophrénie dans un hôpital psychiatrique de la Russie actuelle. À l'aide de devinettes (qui ne sont pas sans rappeler les kôans zen) que lui propose Tchapaïev, Piotr comprend que ses deux existences n'existent pas. Vides à l'image de son nom. Il peut alors s'échapper de l'hôpital psychiatrique d'aujourd'hui comme des atrocités de la Russie post-révolutionnaire pour entrer en "Mongolie intérieure".

La Mongolie intérieure ou encore le Fleuve multicolore sont des thèmes récurrents chez Pelevine. Au terme d'un processus d'éveil, le héros atteint ces mondes au goût – si l'on peut dire – de nirvâna. Son dernier roman, qui n'est pas encore traduit en français, s'intitule Le livre sacré du renard Garou. L'héroïne, la renarde Garou Ahou li, comprend que le monde qui l'entoure est la création de "sa propre queue." Mais cette compréhension n'est pas suffisante. Le maître de "la montagne couleur jaune" lui recommande de trouver la clé magique qu'elle cherche depuis des siècles et qui a pour nom "l'Amour véritable". Seule cette clé lui permettra de réaliser sa propre nature.

Roman bouddhiste à clé ? Dans un véritable livre bouddhiste, assure Pelevine, il ne peut y avoir un seul mot sur le bouddhisme : "Le Bouddha est l'esprit ordinaire. Il n'y a pas un seul texte qui ne soit bouddhiste de la première à la dernière lettre."


Un article d'Irakli Machaidze (mars 2005). [Télécharger et imprimer l'article au format pdf]

Photographies : Viktor Pelevine, collage pour La mitrailleuse d'argile (DR http://pelevin.nov.ru/).


Un extrait :

(Tchapaïev) tira vers lui une petite soucoupe bleue et la remplit d'alcool jusqu'au bord. Puis il refit la même opération avec le verre.
- Regarde, Petka. Notre tord-boyaux n'a pas de forme en soi. Un verre, une soucoupe. Laquelle de ces formes est censée être la vraie ?
- Les deux, répondis-je. Les deux sont vraies.
Tchapaïev but soigneusement le verre, puis la soucoupe et les jeta l'un après l'autre contre le mur. Ils se brisèrent tous deux en mille éclats.
- Petka! Regarde et retiens. Si tu es vrai, alors la mort viendra pour de vrai. Et même moi, je ne pourrai pas t'aider. Je te demande encore une fois. Voici les verres, voici la bouteille. Laquelle de ces formes est la vraie ?
- Je ne comprends pas votre question.
-Tu veux que je te montre ? Proposa-t-il.
- Montrez.
Il se pencha, mit la main sous la table et en sortit son Mauser nickelé. J'eus à peine le temps de saisir son poignet.
- C'est bon. Mais il ne faut pas tirer sur la bouteille.
- C'est juste, Petka. Il vaut mieux boire.
Il remplit les verres et réfléchit. Il ne semblait pas parvenir à trouver les mots justes.
À vrai dire, commença-t-il enfin, pour le tord-boyaux, il n'y a ni soucoupe, ni verre, ni bouteille. Seulement lui-même. Voilà pourquoi tout ce qui peut apparaître ou disparaître n'est qu'un assortiment de formes vides qui n'existent pas tant que l'alcool ne les prend pas. Tu le verses dans une tasse, et c'est le paradis. Nous buvons dans des verres, et c'est cela, Petka, qui fait de nous des hommes. Compris ?
La mitrailleuse d'argile, Éditions du Seuil, collection Points, 2005, pp. 366-367.


Les livres de Viktor Pelevine traduits en français :

- La vie des insectes, Éditions du Seuil, collection Cadre Vert, 1995, 186 pages ; réédition Éditions du Seuil, collection Points, 1997, 186 pages.
- Omon Ra, Austral, 1996, collection Ikaria, 186 pages ; réédition Mille et une nuits, 1998, 204 pages.
- La mitrailleuse d'argile, Éditions du Seuil, collection Cadre Vert, 1997, 367 pages ; réédition Éditions du Seuil, collection Points, 2005, 412 pages.
- L'ermite et sixdoigts, Jacqueline Chambon, collection Métro, 1998, 71 pages ; réédition Rouergue, collection Nouvelles du monde, 2003, 73 pages.
- Un monde de cristal, Éditions du Seuil, collection Cadre Vert, 1999, 187 pages.
- La flèche jaune, Mille et une nuits, 1999, 95 pages.
- Ontologie de l'enfance, Éditions du Rocher, collection Nouvelle, 2000.
- Homo zapiens, Éditions du Seuil, collection Cadre Vert, 2001, 308 pages.
- Critique macédonienne de la pensée française, collection Denoël & d'Ailleurs, 2005, 246 pages.

collage pour la mitrailleuse d'argile de Victor Pelevine

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