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Bouddhisme et engagement public

Éric Rommeluère

[Éthique et engagement] Contrairement à un préjugé toujours tenace, le bouddhisme ne promeut pas une morale du repliement. Son rapport au monde est avant tout celui de l'engagement et de la responsabilité. Pourtant, s'ils ont longuement médité le sens de la relation interpersonnelle - comment puis-je être avec mon prochain -, les bouddhistes n'ont pas encore totalement dévidé la question de l'engagement public dans nos sociétés modernes. Le caractère personnel de l'éthique bouddhiste qui l'écarte des morales qui nous sont plus communes, d'ordre législatif ou social, n'y est pas étranger. Même si ses principes moraux recoupent parfois ceux des éthiques sociales, les bouddhistes prennent toujours soin en effet de distinguer les règles du bien commun qui s'imposent à chacun, de l'éthique qu'ils se proposent à eux-mêmes et qui vise ultimement à laisser advenir un autre en soi (l'éveil versus l'égarement). Dans ses fondements, l'éthique bouddhiste participe en effet d'un engagement à résoudre la question proprement existentielle de la souffrance.

Kannon bosatsu[L'éthique médiatise le rapport de soi à autrui] Mais l'autre, en bouddhisme, n'est jamais tenu à distance de mon propre chemin intérieur. La résolution des questionnements les plus fondamentaux, sur la mort, sur la finitude ne passe pas par une discipline du repliement mais par le déploiement dans le champ de l'existence entière et de l'humain de toutes ses méditations les plus profondes. Ainsi, dans son expression la plus accomplie, l'action, la responsabilité, la sollicitude, la générosité ne sont que différents modes d'une vie bouddhiste qui se veut authentique et éveillée. Les bouddhistes ont évidemment conscience que ce déploiement ne peut se limiter aux seules questions existentielles et qu'il doit également considérer les divers besoins matériels et psychologiques des individus. Déjà la souffrance naît dans l'ordinaire de la violence et du mal-être. Je dois également y répondre. Car tout ce qui affecte l'autre, l'oppresse, le fait souffrir, non seulement me concerne, mais m'oblige totalement. Et l'on voit aujourd'hui, ici même dans nos pays européens, des hommes et de femmes inspirés, des bouddhistes s'engager et œuvrer dans différents champs sociaux ou civils (soins aux malades, aux mourants, etc.).

Dans les sociétés anciennes, le rapport éthique à autrui était direct et n'était pas ou peu médiatisé par les institutions. Certes, des princes ou des rois ont pu financer des œuvres bouddhiques, mais l'essentiel tenait dans le cadre immédiat de la dimension interpersonnelle. Être bouddhiste aujourd'hui nous confronte à de nouveaux défis qui appellent sinon des réponses, du moins de nouveaux questionnements. Nous voyons à l'œuvre, l'avidité, la haine et l'ignorance (les trois poisons selon la terminologie bouddhique) érigées parfois en quasi-valeurs sociales. Dans cet environnement, la modernité et plus encore la mondialisation nous obligent également à repenser notre éthique du prochain. Car mon prochain n'est plus simplement celui qui se tient face à moi. C'est celui que je ne verrai jamais. C'est celui qui n'est pas encore né.

[Public-privé : une irrévocable distinction] Il serait naïf et pour le moins contestable de croire qu'une collectivisation du bouddhisme comme philosophie de vie serait la nécessaire réponse à une (prétendue, réelle ? laissons le débat ouvert) déréliction du monde moderne. Une telle collectivisation serait non seulement contradictoire avec le principe même de l'éthique bouddhiste qui n'a pas de prétention à régir le collectif mais également avec cette règle irrévocable de la non-confusion du privé et du public dans nos sociétés plurielles. Le public en tant qu'espace collectif hétérogène ne peut évidemment être la projection du privé sous peine de le voir se transformer en espace totalitaire ou bien se fragmenter en îlots communautaires. Seule une société qui renonce à une vision totalisante de l'homme (que ce soit au nom d'une idéologie politique ou bien religieuse) permet le vivre ensemble. Cette évidence est pourtant à redire tant certains bouddhistes d'Orient ou d'Occident croient encore qu'une société gouvernée par des sages bouddhistes serait LA réponse aux crises de la modernité. Le Dalaï-Lama l'a fort bien compris qui a renoncé à son statut théocratique pour développer une vision démocratique d'un autre Tibet libre. Dans les sociétés traditionnelles bouddhistes et au Tibet même, du fait même que cette éthique personnelle se voyait partagée par tous, dans une même foi commune, elle a pu s'imposer comme éthique collective. Mais il ne peut s'agir d'un modèle pour une société moderne. L'exemple contemporain du Sri Lanka le montre bien. Le bouddhisme quasi-religion d'État surplombe, dans ce pays, les institutions et rend difficile l'intégration de la pluralité ethnique et religieuse vécue par une majorité de bonzes comme destructrice de l'ancien grand Ceylan bouddhique. Malgré sa prétention à la démocratie, ce pays peine à accueillir l'autre, en l'occurrence le tamoul hindouiste ou chrétien, faute justement d'une distinction claire du privé et du public.

[Une nécessaire parole] Il ne s'agit donc pas de contester la différenciation institutionnelle et sociale du public et du privé dans l'espace moderne, indispensable à sa vie même. Seuls des antimodernes ou des nostalgiques de l'anté-modernité le pourraient. S'il existe une crise de la modernité, celle-ci ne peut-être résolue qu'en son sein et non contre elle. Et pourtant, disions-nous, l'engagement bouddhiste ne peut se réduire à une pratique intimiste au risque qu'elle s'enferme dans le narcissisme. C'est dans la participation sociale, comme responsable pour autrui, que le bouddhisme moderne peut/doit/ aujourd'hui s'exprimer. Non pour convertir mais pour dire. Car une parole publique n'est pas une parole qui régit mais qui réfléchit. Elle n'a pas pour vocation à se substituer à celle de la puissance publique. Aujourd'hui, les défis de la modernité et de la mondialisation appellent plus que jamais à cette parole. Il n'en va pas simplement de la régulation sociale mais de l'humanité de l'homme, les développements actuels des biotechnologies n'étant pas la moindre de ces problématiques. Un appel auquel chaque acteur social - et les hommes et les femmes de religion sont également des acteurs ancrés dans la société - doit répondre. Se retirer, rester muet, voit le risque pour chacun d'entre nous que la parole soit capturée par des idéologies totalitaires. Nous ne le pouvons pas.

Éric Rommeluère, mars 2004. Reproduction interdite. [Télécharger et imprimer le texte complet au format pdf]


Un article paru dans la revue Reliures, n° 12 - Printemps-été 2004, Liège (Belgique), dossier "Dévoiler les Dieux". Philippe Grollet, président du Centre d'Action Laïque, Monseigneur Godfried Danneels, cardinal-archevêque de Bruxelles, Albert Guigui, grand rabbin de Bruxelles et Éric Rommeluère répondaient dans ce numéro de la revue à la question : La laïcisation de l'État (séparation des "Églises" et de l'État) implique-t-elle nécessairement le renvoi des convictions philosophiques et religieuses dans la sphère privée ? Ou, peut-on concevoir et à quelles conditions, de déprivatiser "foi et convictions" jusqu'ici reléguées dans la sphère privée des individus, en les réintroduisant dans l'espace public du débat sur le sens ?

Le dessin représente le bodhisattva Kannon (© Zenkôji).


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