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L'au-delà, ici et maintenant : Une perspective bouddhiste

Éric Rommeluère


Le 3 octobre 2002, une rencontre interreligieuse réunissait à Sarlat des représentants des grandes confessions pour débattre du thème "l'au-delà, ici et maintenant". Cette rencontre était organisée par le Centre Notre-Dame de Temniac qui s'affirme comme l'un des principaux lieux d'étude et d'expériences du dialogue interreligieux en France.

Monseigneur Albert Rouet, évêque de Poitiers, le rabbin Samuel Sirat, ancien grand rabbin de France et le cheik Tareq Oubrou, recteur de la mosquée El Huda de Bordeaux présentaient le point de vue des traditions catholique, juive et celui de l'islam. Éric Rommeluère présentait, lui, la perspective bouddhiste.

Centre Notre Dame de Temniac, 24200 Sarlat. Tél. : 05 53 59 44 96 - Courrier électronique : cnd.temniac@wanadoo.fr.



L’au-delà. Il s’agit d’une ellipse. On y entend l’au-delà de soi-même. Poser cette question revient évidemment à aborder celles de l'identité et de l’altérité de soi ; celles de son endurance et de sa disparition. La permanence et l’impermanence. Les questions filent : y a-t-il un autre que moi-même en moi-même ? La vérité de mon être, son accomplissement se situent-ils ailleurs - dans un futur ? Quelles réponses donner à la mort, l’inconcevable par excellence : Survivrais-je ou sombrerais-je dans un pur néant ? Serais-je réincarné ou ressuscité ? Finalement et pour le dire simplement : Où suis-je, où étais-je, où serai-je ?

Comme toutes les religions, le bouddhisme offre des réponses à ces interrogations existentielles. On pense bien sûr à la doctrine du cycle des renaissances. J’étais - mais était-ce vraiment moi ? - un animal, un dieu et me voici aujourd'hui devenu un homme ou bien une femme. Rappelons que cette doctrine, héritée de l'Inde ancienne, a suscité de longues spéculations et, au sein même des écoles bouddhistes, de larges débats. Les réponses ne furent pas toujours univoques. Les Chinois qui accueillirent le bouddhisme dans les premiers siècles de notre ère eurent les mêmes questions qui se posent aujourd’hui à nous Occidentaux qui le découvrons : comment peut-on parler d'une renaissance s’il n’y a rien, nulle essence, nul être pour renaître ? Et ce, d’autant plus que les renaissances ne sont pas distribuées au hasard : "on" renaît en fonction de ses actes, vertueux ou pernicieux, bons ou mauvais. Les six domaines de renaissance possibles (enfers, animaux, fantômes, hommes, titans, dieux) ne s’équivalent pas mais sont ordonnés. Comment l’acte peut-il produire son fruit sans autre support ? Le système des renaissances les a préoccupé - en réalité, ils ne le comprenaient pas. Des théories proprement réincarnationnistes s’affirmèrent pour rétablir ce qui pouvait passer pour une contradiction. Huiyan, un célèbre moine bouddhiste du IVe siècle, est ainsi l’auteur d’un ouvrage au titre évocateur, Le corps est mortel [mais] l’esprit est immortel. Les controverses sur l’immortalité de "l’âme" se poursuivirent en Chine durant plusieurs siècles. Mais avant tout, la philosophie bouddhique questionne l’identité. Comment puis-je être le même alors que je ne suis plus celui que j’étais ? Tout tient dans l’analyse du soi et de ses transformations. Les débats sur l’après-mort ne reflètent que des divergences d’appréciation sur cette question fondamentale. En réalité, pour un pratiquant bouddhiste, l’essentiel se situe en cette vie. Si la vie est une expérience, cette vie là constitue notre matériel d’expérimentation. Pour la comprendre. Pour la transformer. Ici et maintenant.

bodhisattvaLe bouddhisme est une élucidation des mécanismes du processus d’exister. Il peut y avoir répétition, compulsion. Les peines et les souffrances peuvent s’aggraver ou bien s’alléger. Mais il peut y avoir également conversion. Le bouddhisme le dit : Oui, il y a un au-delà de nous-mêmes qui est la vie éveillée. Sa visée est bien là : dans une vie paisible et joyeuse. Le Bouddha, "L’Éveillé", se présente comme le témoignage vivant qu’il existe une autre dimension de la vie qui anéantit toutes les douleurs. Une dimension à laquelle chacun peut accéder. La vie éveillée s'oppose à la vie illusoire, celle qui est gouvernée par l'avidité, la colère et la sottise (ce que le bouddhisme désigne du terme collectif des trois poisons). En bref, l'aveuglement. Cette vie éveillée naît d’une aspiration fondamentale, celle de mettre fin aux souffrances. Chacun connaît l’histoire du Bouddha Shâkyamuni, ce fils de roi confronté aux visions successives d’un vieillard, d’un malade, d’un cadavre et d’un ascète. Bouleversé, il s’enfuit de son palais, rompt tous les liens - il tranche symboliquement sa chevelure de son épée et renvoie son cheval - pour s’engager dans la voie du renonçant. On peut lire cette histoire, non comme une histoire réelle, mais comme une métaphore. Celle, aujourd’hui, de nos propres vies. Nous sommes, à notre manière, des fils et des filles de roi, vivant dans nos sociétés modernes et démocratiques dans le confort et la sécurité. Une aisance certaine (ou une certaine aisance) comparée à d’autres situations. Nous sommes heureux. Tout au moins apparemment. Nous arrivons vaille que vaille à colmater nos failles. "- Ça va ?" "- Oui, bien sûr !" Et pourtant. Une angoisse demeure, sourde, presque imperceptible. Nous le sentons bien. On l’oublie à force de joie et de plaisir. Mais elle revient, perce, pour peu que la douleur brise l’ordinaire des jours. La désolation peut s’installer, la dépression parfois. Le bouddhisme parle de duhkha, un terme mal traduit en français par douleur ou par souffrance. Duhkha est plus profond, plus existentiel. Un malaise plus secrètement enfoui. Au demeurant, le Bouddha prend conscience de duhkha, non par ses propres souffrances mais par ces rencontres successives, celles du vieillard, du malade et du cadavre. Lui-même était alors un jeune homme vigoureux, quasi-insouciant, celui qui aimait tirer à l’arc avec son fils, promu au destin d’un roi. Mais il a contemplé la maladie, la vieillesse et la mort. Un triptyque qui est la vision de la fin. Notre vie va buter sur l'instant de la mort. L’existence est duhkha rappelle le bouddhisme.

Le propre du religieux est de répondre à la question de la finitude. La voie que le Bouddha Shâkyamuni découvre ensuite en imitant l'ascète entrevu n'est encore que la métaphore de ce chemin que nous pouvons tous emprunter. Il dit : Il y a duhkha, il y a une origine de duhkha, il y a une fin de duhkha et il y a un chemin. Ce sont les quatre noble vérités, celles qu’il expose lors de son premier sermon à Bénarès. Il répond à la finitude par la vie éveillée. Le Zen que je pratique s'inscrit dans le sillage du Grand Véhicule (skt. mahâyâna). Ce courant majeur du bouddhisme, né dans en Inde dans les premiers siècles de notre ère présente le chemin en quatre étapes : la résolution, la pratique, l'éveil et le nirvâna (le dénouement de tous les liens). Dans le Zen comme dans tout le bouddhisme du Grand Véhicule, on accorde une grande importance à ce mouvement inaugural qui engage sur la voie de la délivrance. Ce qu'on appelle la résolution (hosshin ou hotsubodaishin, "l'émergence de l'esprit d'éveil", en japonais). Cette résolution naît de la contemplation même de la finitude. On dit l’impermanence. Dôgen (1200-1253), le fondateur de l’école Zen Sôtô au Japon, cite Nâgârjuna, le philosophe indien, dans les premières lignes de son Recueil des points à observer dans la pratique de l’éveil (Gakudô yôjin shû) : "L'esprit qui ne fait que contempler l'apparition et la disparition ainsi que l'impermanence du monde s'appelle également l'esprit d'éveil." Cette contemplation pourrait conduire au nihilisme. Tout passe ; tout trépasse. Et pourtant non, cette contemplation renverse tout désespoir. Cette résolution qui se fraye un chemin en nous, s'accompagne en effet d'une grande confiance. Une confiance que nous ne sommes pas perdus dans quelque obscurité. Il y a un sentier. Nous l'apercevons à peine mais nous pouvons déjà le distinguer. Cette vision est, à elle seule, une promesse. Oui, il y a un au-delà. Certains auteurs vont jusqu'à dire que la pratique, l'éveil et le nirvâna, les trois étapes suivantes sont toutes entières contenues dans cette seule résolution. Car être résolu à l'éveil, c'est déjà s'éveiller. Certains inclinent à croire que le bouddhisme prêcherait un pessimisme ou pire un nihilisme. Ce serait le cas s'il affirmait que tout n'était que vallée de larmes promise au néant. Le Bouddha affirme au contraire : la vie éveillée existe bien. Cette résolution est décrite comme un mouvement spontané de l'esprit. Elle est un aiguillon. Dôgen commente : "En vérité, lorsqu'on contemple l'impermanence, l'esprit du moi et du mien n'apparaît plus, ni ne s'élèvent les pensées de renommée ou de profit. Effrayé par la si grande rapidité du temps, on pratique la voie comme si l'on voulait se sauver d'un feu brûlant sur la tête." (Gakudô yôjin shû). La résolution mûrit et se fait engagement. Les bouddhistes s’engagent à la vie éveillée. Nous prenons formellement des vœux. Il en existe de nombreuses listes. Dans le Grand Véhicule, on prend habituellement ce qu’on appelle les "trois groupes de purs préceptes", à savoir les préceptes d'abstention (comme ne pas tuer, ne pas voler, etc.), les préceptes de bonne conduite (ce sont toutes les pratiques bouddhistes) et les préceptes de compassion. Les formules sont diverses mais l'on récite souvent ces formules rituelles "je fais le vœu jusqu'à ma mort" ou "je fais le vœu jusqu'à ce que j'ai réalisé le corps de bouddha..." Il ne s'agit donc pas de s'engager frivolement pour un instant, pour une heure ou pour une journée. Nous voulons vivre totalement une vie non-illusoire. S'engager dans cette voie témoigne d'une extraordinaire confiance. Que nous pouvons nous mêmes, les uns comme les autres, quelles que soient nos conditions, notre passé, nos poids, nos errances, bouleverser nos vies et trancher nos souffrances. Le Sûtra du filet de Brâhma (Taishô, XXIV, 1484) est l’un des principaux ouvrage du bouddhisme extrême-oriental sur les vœux bouddhiques. Le Bouddha y déclare que chacun, sans exception aucune, peut prendre les engagements du Grand Véhicule : les rois, les ministres, les militaires, les prostituées, les animaux, les fantômes mêmes. Car nul n'est exclu de la vie éveillée.

Mais allons plus loin. Où se trouve cet au-delà de soi-même ? Dans cet en deçà répond le bouddhisme. En deçà, c'est à dire en nous-mêmes et dans notre esprit. Ce n'est même pas en ce monde car pour le bouddhisme le monde extérieur n'est qu'une expression de l'esprit ("les trois mondes ne sont qu’esprit", selon une formule classique). Certaines écoles diront, il est vrai, que de nombreuses obstacles barrent le chemin de l'éveil et qu'il nous faudra des milliers de vies pour avancer sur ce long chemin. On parle en kalpa, des périodes de temps proprement inimaginables. D'autres, par contre, diront qu'il s'agit de réaliser la bouddhéité en cette vie, conscients que les voiles de l’esprit, en ce moment même, constituent seules le seul véritable obstacle. Certains parlent de voie abrupte, d'autres de voie progressive, mais le temps qu'il faut est à la seule mesure de nos résistances intérieures. Le bouddhisme est un travail sur l'esprit. Dire que l'au-delà est en nous-mêmes signifie que nous devons tout puiser en nous, dans nos illusions mêmes. Que tout se passe d’abord ici, dans l'expérience de notre vie. Qu'il n'y a pas d'autres domaines que notre expérience. Tant que nous croyons à l'au-delà comme une extériorité, nous nous empêchons de l'atteindre. Nous parlons du Grand Véhicule. Qu’entend-t-on par "grand ?" Il s'agit d'être, large ouvert, en même temps doux avec soi-même. La pratique du Grand Véhicule consiste à embrasser toute chose sans rien exclure et de toujours prendre les ingrédients qui sont notre portée. Pour celui qui veut vivre une vie éveillée, il n'a à portée de main que son corps et son mental avec leurs défauts et leurs travers. Ce qu’il ne peut mettre sous le boisseau. Il ne s'agit pas simplement de composer avec ses propres illusions mais d'en faire les ingrédients de la vie éveillée.

Souvent penser, rêver à l'au-delà dissimule notre peur fondamentale. Nous allons mourir. C'est même plus que de la peur. L'angoisse absolue. Nous passons notre vie, chaque instant à créer notre identité, à la maintenir, à l'enrichir. Pour oublier l’angoisse. Mais l’inconcevable revient : nous allons mourir. Nous aimerions survivre quelles que soient les conditions. A tout prendre, pourquoi pas en animal ou en fantôme affamé ? Mais la voie radicale du Zen dira : ne maintenez aucun espoir dans un ailleurs. Car la seule manière de s’éveiller c'est de tout laisser s'effondrer. Nos peurs, nos angoisses comme nos espoirs et nos désirs. Sans se préoccuper de quoi que ce soit d’autre. Et de vivre aujourd’hui la vie éveillée - ici et maintenant.

Éric Rommeluère (octobre 2002). Reproduction interdite.


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