Accueil - Sommaire
La méditation
Activités - Groupes
L'enseignant
Toucher le cœur
Les rendez-vous
Qu'est-ce que le Zen ?
Orient-Occident
Essais
Causeries
Enseignements
Textes classiques
Télécharger
Le réseau BASE
Le blog zen
Bodhidharma
Dôgen
Gudô
Jiun sonja
Album photos
Expériences
Digressions
Humour
Bouquins
FAQ
Poésie
Section membres
Mises à jour
Plan du site
Nous soutenir
Mentions légales


Une recherche rapide par mot-clé sur le site ?



Recevoir la lettre d'information ainsi que la liste des mises à jour mensuelles :







La guerre sainte du zen

Une critique littéraire de Josh Baran (1998)


Zen at War (le livre)Zen at War, Brian Victoria, Weatherhill, 228 pages, 1997, couverture papier, $19.95

The Rape of Nanking: The Forgotten Holocaust of World War II, Iris Chang, Basic Books, 290 pages, 1997, cartonné, $25.00


"Si on vous ordonne de marcher : une, deux, une, deux! ou de tirer : bang, bang! C'est là la manifestation de la plus haute sagesse de l'éveil. L'unité du zen et de la guerre [...] se propage jusqu'aux confins de la guerre sainte qui est maintenant en cours." Harada Daiun Sogaku (1939)

"Les guerriers qui sacrifient leur vie pour l'empereur ne mourront pas. Ils vivront éternellement. En vérité, on devrait les appeler des dieux et des bouddhas pour qui il n'y a ni vie ni mort. Là où il y a loyauté absolue, il n'y a ni vie ni mort." Lieutenant-Colonel Sugimoto Goro

"Depuis l'ère Meiji, notre école [sôtô] a coopéré à la conduite de la guerre." Déclaration de repentance de l'école sôtô (1992)


Des idées de "guerres saintes" et de religions occidentales nous viennent à l'esprit. Le Dieu de l'Exode ordonne l'extermination des Cananéens, en instruisant son peuple élu de ne "leur montrer aucune pitié". Le commandement "Tu ne tueras point" ne s'appliquait pas aux Gentils. En 1095, le pape Urbain II ordonnait aux croisés qui partaient à Jérusalem de "tuer les ennemis de Dieu". En deux jours, les soldats chrétiens massacrèrent 40.000 musulmans qui n'étaient que des "ordures" inhumaines. "Quelle vision merveilleuse", rapporta l'un des croisés, "des piles de têtes, de mains et de pieds. C'était un juste et splendide jugement de Dieu que cet endroit fût couvert du sang des infidèles." Et de nos jours, les terroristes islamistes proclament que "Dieu est grand" lorsque des bombes explosent au Moyen-Orient.

D'un autre côté, on a toujours dépeint le bouddhisme comme la religion de la paix. "Il n'y a jamais eu de guerre bouddhiste" ai-je souvent entendu pendant des années. Lorsque le royaume des Shâkya se trouva sous la menace d'une invasion, le Bouddha s'assit en méditation sur le chemin des soldats, arrêtant net leur attaque. Lorsque le roi indien Ashoka se convertit au bouddhisme, il mit un terme à ses expéditions militaires et érigea des piliers de la paix. Lorsque le dharma arriva au Tibet, on dit que les tribus barbares furent pacifiées. Pendant la guerre du Vietnam, les moines bouddhistes s'immolèrent par le feu pour protester contre les combats.

Et maintenant, voici qu'un nouvel essai va radicalement ébranler cette vision du bouddhisme. "Le zen en guerre" (Zen at War) est un livre courageux et très bien documenté de Brian Victoria, un moine occidental zen sôtô qui travaille à l'Université d'Auckland. Victoria révèle l'histoire de la collusion des institutions du zen japonais et de la machine de guerre impériale, de la fin du dix-neuvième siècle jusqu'à la fin de la seconde guerre mondiale. Il raconte en détail comment d'éminents maîtres zen ont perverti les enseignements bouddhistes pour encourager l'obéissance aveugle, le meurtre irresponsable et la dévotion totale à l'empereur. Les conséquences en furent catastrophiques et on peut encore aujourd'hui en ressentir l'impact.

La plupart des bouddhistes occidentaux trouveront cet exposé dérangeant pour le cœur et pour l'esprit. Des maîtres zen éveillés qui s'engagent en faveur de la guerre, voilà qui contredit tout ce que nous connaissons des enseignements du Bouddha. Après la guerre, la tradition zen japonaise, tout comme le pays lui-même, se réfugia dans une amnésie collective sur sa complicité dans la guerre. De sorte que plus de cinquante ans d'histoire du bouddhisme ont été occultés de la scène publique ainsi qu'aux Japonais eux-mêmes. Voilà qu'ils commencent juste à affronter le passé.

"Le zen en guerre" n'aurait pu être écrit au Japon. Pour découvrir ces faits, il fallait quelqu'un d'extérieur au monde japonais de la loyauté qui puisse fouiller et poser des questions dérangeantes. On a pressé Victoria de ne pas publier ce livre. Un moine chinois lui a laissé entendre que le dharma pourrait en être diffamé. Mais, ainsi que le fait justement remarquer Victoria, la vérité n'est jamais de la diffamation. Ce livre est une contribution majeure à la compréhension du zen contemporain, une lecture nécessaire pour tout personne qui étudie sérieusement le dharma. C'est peut-être le livre d'histoire bouddhiste le plus important de la décennie.

En affrontant ce que Robert Aitken rôshi a appelé "le côté obscur de notre héritage", la situation est des plus complexe. Il nous faut tout d'abord comprendre le contexte historique et culturel. Il nous faut ensuite avoir le courage de réfléchir aux nombreuses questions dérangeantes et difficiles que soulève ce pan de l'histoire. Il serait tentant de le laisser de côté en y voyant une aberration japonaise duue aux temps de guerre, qui serait du passé et qui ne se reproduirait plus. Ce serait une erreur. Il y a là beaucoup à apprendre, et cela pourrait avoir de profonds retentissements sur le développement de notre sangha bouddhiste occidentale.

D'abord un peu d'histoire. Le bouddhisme est devenu une religion d'état au Japon à l'époque Tokugawa (1600-1868). Près d'un demi-million de temples furent construits. Le sacerdoce bouddhiste devint un instrument dans les mains du gouvernement féodal. Chaque foyer devait être affilié à un temple local. Une telle opulence et un tel pouvoir ne furent pas sans conséquence. Au début de l'ère Meiji (qui commença en 1868), on assiste à une montée d'un vaste ressentiment populaire anti-bouddhiste. Une campagne nationale pour éradiquer du Japon cette "religion étrangère" et pour y réinstaller le shintoïsme comme seule véritable tradition japonaise fut entreprise. Des milliers de temples furent fermés, des statues furent mises à bas et les moines contraints de retourner à la vie laïque. La seule manière qu'avait le bouddhisme institutionnel de survivre fut de s'intégrer au nouveau système impérial.

Selon Victoria, sous la bannière du shintô, l'empereur était vénéré comme un dieu vivant - "la sagesse sans ego de l'univers". La loi impériale et le dharma furent considérés comme identiques - "zen de la Voie impériale" par opposition au "zen de la Voie du Bouddha". Particulièrement, l'empereur remplaçait le Bouddha, la loyauté et l'esprit japonais, le dharma, et la nation, le sangha. Les enseignements zen furent adaptés pour se conformer à la nouvelle tradition. Un fameux "soldat zen" écrivit : "Ne recherchant rien, vous devrez simplement rejeter complètement le corps et l'esprit et ne faire qu'un avec l'empereur."

Au début du siècle, le Japon sortait de plusieurs siècles d'isolement. D'une certaine façon, cet esprit de la guerre a débuté en 1894 pendant la guerre sino-japonaise, avec les victoires japonaises en Chine et en Corée puis avec les succès ultérieurs de la guerre russo-japonaise (1904-1905). L'orgueil national du Japon s'est infatué. Il a cherché à devenir une "nation de première classe" - une puissance mondiale moderne qui pourrait contrer l'expansion occidentale et créer son propre empire en Orient. L'isolement de cette nation insulaire a engendré une arrogance totale. Le Japon se voyait comme divin, racialement et culturellement supérieur, "sans défaut" et "le seul pays bouddhiste". Les non-Japonais était appelés jama gedô - des païens insoumis. Le Japon était en train de "sauver l'Asie", répandant le pur japonais, le yamato damashii, qui prenait des allures cosmiques.

Le zen japonais, en particulier la lignée rinzai, est depuis longtemps associé à la culture des samouraïs et au bushidô, la voie du sabre. Pendant des siècles, des maîtres zen ont entraîné des samouraïs à la méditation, en leur enseignant la concentration et le pouvoir de la volonté. Le zen les aidait à faire face à l'adversité et à la mort sans hésitation, à être totalement loyaux et à agir sans penser. Pour le dire sans fard, le bushidô était une forme de tuerie spirituelle pénétrée de philosophie zen. L'épée a toujours été un symbole bouddhique pour couper au travers des illusions, mais avec le bushidô, on prit la métaphore au pied de la lettre. L'épée devint un objet de vénération et d'obsession, idéalisé et adoré.

Au début du siècle, le bushidô imprégnait le Japon, dans une sorte de "samouraïsation de la nation". Il se répandit alors des villages féodaux et des temples locaux aux champs de bataille de Mandchourie et plus tard de Guam et de Pearl Harbour.

Victoria épingle Shaku Sôen (1859-1919) comme l'un des premiers maîtres zen à avoir fait, avec enthousiasme, de la guerre une pratique zen. Connu comme le maître de D. T. Suzuki, Sôen est respecté dans l'histoire du Bouddhisme en Occident pour avoir été le premier maître zen qui se rendit aux États-Unis. Pendant la guerre contre la Russie, en 1904, Sôen fut aumônier. "Je souhaitais inspirer", écrivit-il plus tard, "à nos vaillants soldats les nobles pensées du Bouddha, afin qu'ils soient capables de mourir sur le champ de bataille avec la certitude que la tâche dans laquelle ils étaient engagés était grande et noble. Je voulais les convaincre [...] que cette guerre n'était pas un simple massacre de leurs frères humains, mais qu'ils combattaient contre un mal."

Du point de vue de Sôen, comme tout n'est qu'une seule essence, la guerre et la paix sont foncièrement identiques. Tout reflète la gloire du Bouddha, y compris la guerre. Comme le dessein principal du Bouddha était de soumettre le mal, et comme les ennemis du Japon étaient intrinsèquement mauvais, la guerre contre le mal était donc l'essence du bouddhisme. "Dans ces hostilités", écrivait Sôen, "dans lesquelles le Japon n'est entré qu'avec une grande réticence, il ne poursuit aucun but égoïste, mais cherche à soumettre des maux opposés à la civilisation, à la paix et à l'éveil." (Le Japon n'était guère réticent et entièrement intéressé dans cette invasion de la Russie). Pour Sôen, la guerre était "une étape inévitable vers la réalisation finale de l'éveil."

Sôen utilisait des expressions telles que "guerre juste" et "guerre sainte". Le Japon était engagé dans une "guerre de compassion" faite par des soldats-bodhisattvas qui combattaient les ennemis du Bouddha. Ainsi que le prêchait le maître zen rinzai Nantembo (1839-1925), il n'y avait "pas de pratique de bodhisattva supérieure au fait de prendre une vie de façon compassionnée" (Sôen considérait que toute opposition à la guerre était un "produit de l'égoïsme"). A lire aujourd'hui ces mots, ils paraissent clairement illustrer ce qu'est une pensée religieuse déréglée. Les enseignements, le langage et les symboles bouddhiques, comme pour toute religion, peuvent être pervertis et défigurés afin de promouvoir le nationalisme et la violence. Il est important de remarquer que Sôen n'est pas un quelconque détraqué marginal. Il est toujours vénéré au Japon comme l'un des grands maîtres "complètement éveillés" de notre temps.

Shôdô Harada rôshi est un maître rinzai et l'abbé du Sôgenji, le plus grand temple zen du Japon occidental, situé à Okayama. Il a voué sa vie à enseigner le zen traditionnel aux occidentaux. Comme son zendô reçoit des femmes aussi bien que des hommes, il est considéré comme un marginal. La présence de femmes disqualifie son temple pour l'émission de certificats formels d'ordination. Il n'est visiblement pas intéressé à faire partie du système officiel et compte bientôt déménager sur l'île de Whidby, près de Seattle, avec sa communauté.

Nous buvons un thé vert amer, par un froid matin de mars, à discuter du zen et de son histoire pendant ces années de guerre. Pour lui, ce fut un grand problème. Son maître, Yamada Mumon (1900-1988), fut l'abbé du Myôshinji, l'un des sièges de l'école rinzai. Le maître de Mumon fut Seki Seisetsu (1877-1945), un maître zen hautement respecté qui fut un champion de la guerre. Seisetsu a écrit un livre pour la promotion du zen et du bushidô. Juste avant la chute de Nankin, Seisetsu est passé à la radio nationale pour dire que : "Montrer la plus grande loyauté à l'empereur est semblable à l'engagement dans la pratique du bouddhisme mahâyâna. Car le bouddhisme mahâyâna est identique avec la loi du souverain." Il appela ensuite à l'"extermination des démons rouges" (les communistes) au Japon et en Chine.

Seisetsu a porté son message sur les champs de bataille, en visitant le front chinois en 1938. Pendant toutes les années de guerre, Mumon a servi son maître, en l'accompagnant pendant ses visites aux armées et en préparant ses écrits. Après la guerre et la mort de Seisetsu, Mumon se mit à exprimer des regrets pour sa participation à la guerre. "Il m'a dit que rien de ce qu'il pourrait faire ne pourrait compenser sa complicité", dit Harada. "Partout où il allait, il parlait de la paix. Il a voyagé dans de nombreux endroits où le Japon a causé des souffrances - Guam, Bornéo, les Philippines - pour y parler de paix."

Mumon n'a jamais critiqué son maître, Seisetsu. Il considérait son repentir comme une campagne personnelle en faveur de la paix. Harada, qui a grandi après la guerre, voit toute la lignée du zen dans l'ombre de cette trahison des principes fondamentaux du bouddhisme. Il convient de la nécessité d'examiner en détail la complicité du zen dans la guerre, car sans rien en retirer, les racines du mal ne seront pas extirpées. Il est direct et honnête. Bien qu'il veuille expliquer le contexte historique, il ne prononce pas d'excuse sur ce qui s'est produit. Pour lui, cela relève des grands temples, mais je puis dire au ton de sa voix qu'il ne pense pas que cela se passera jamais. Inlassablement, il redit : "C'est un gros problème, un gros problème."

Victoria identifie Sawaki Kôdô (1880-1965), l'un des grands patriarches zen de ce siècle, comme un propagandiste évangélique de la guerre. Servant comme soldat en Russie, il rapportait joyeusement comment lui et ses camarades s'étaient "régalés à tuer des gens". Plus tard, en 1942, il écrivit : "Il est juste de punir ceux qui dérangent l'ordre public. Que l'on tue, ou que l'on ne tue pas, le précepte qui interdit de tuer [est préservé]. C'est le précepte qui interdit de tuer qui tient l'épée. C'est ce précepte qui lance la bombe."

Le "précepte lance la bombe" ? Voilà un étonnant abus de langage zen. Kôdô plaidait aussi, comme le firent d'autres maîtres zen, que si l'on tue sans penser, dans un état de non-pensée ou de non-ego, cet acte est alors une expression de l'éveil. Pas de pensée = pas d'esprit = pas d'ego = pas de karma. Dans cette bizarre équation, les victimes sont toujours oubliées, comme si elles étaient hors de propos. Tuer n'est que l'expression élégante d'un kôan. Lorsque le colonel Aizama Saburo fut jugé pour avoir tué un autre général, en 1935, il témoigna : "J'étais dans la sphère de l'absolu, il n'y avait ni affirmation, ni négation, ni bien, ni mal." Cette approche du zen est en fin de compte un narcissisme pervers, voire du nihilisme. Evidemment, la question qui n'a jamais été posée est : S'il n'y a pas d'ego, pourquoi y a-t-il le moindre besoin de tuer ?

Victoria révèle les mots mêmes de ces guides, ainsi que les documents écrits de cette époque. Son livre contient des douzaines de passages semblables de maîtres importants, ce qui montre que la déformation fut la règle, non l'exception. Il y eut quelques pacifistes, mais il étaient peu nombreux. Quelques moines opposés à la guerre ont pu se retirer tranquillement dans de lointains temples de campagne, mais ils n'ont probablement pas laissé de traces.

On dit de Shunryû Suzuki rôshi ("Esprit zen, esprit neuf"), le fondateur du San Francisco Zen Center, qu'il fut impliqué dans des activités pacifistes pendant la seconde guerre mondiale. Mais selon David Chadwick, qui écrit un livre sur la vie de Suzuki, les documents sont confus et, au mieux, ses activités gardèrent un profil bas.

Les premières œuvres du célèbre D. T. Suzuki reflétaient l'influence des enseignements de Sôen (Pour être juste, en 1940, Suzuki avait considérablement changé de ton). En 1896, au début de la guerre contre la Chine, il écrivit : "La religion devrait tout d'abord chercher à préserver l'existence de l'État." Tout comme son maître, il voyait les ennemis du Japon comme des "païens insoumis" qui devaient être domptés et conquis sans quoi "le progrès de l'humanité serait arrêté. Au nom de la religion, notre pays ne peut pas y souscrire." Il disait que partir à la guerre était une "pratique religieuse".

Suzuki utilisait le langage poétique pour louer les soldats japonais. "Nos soldats considèrent leur propre vie comme aussi légère que des plumes d'oie, alors que leur dévotion au devoir est aussi lourde que le mont Taishan [en Chine]. S'ils devaient mourir au combat, ils n'auraient aucun regret." Cette métaphore des "plumes d'oie" deviendra l'un des points essentiels de l'endoctrinement militaire qui enseignait aux recrues et aux jeunes pilotes kamikaze ("vent divin") que leur vie individuelle n'avait aucune valeur et pas plus de poids. Seule une dévotion totale à l'empereur pouvait donner un sens à leur vie. Suzuki a aussi popularisé le concept tiré du bushidô de "l'épée qui donne la vie", qui a été inlassablement utilisé pour justifier le fait de tuer. Des années après, l'ambassadeur du Japon utilisera cette phrase, "l'épée qui donne la vie", dans un discours prononcé à la Chancellerie à Berlin, après la signature de l'Axe Tripartite, le 27 septembre 1940.

Victoria signale que toutes les sectes bouddhiques ont publiquement supporté la guerre et avec enthousiasme. Si elles ne le faisaient pas, les conséquences auraient été lourdes, particulièrement dans un pays qui met la loyauté envers le groupe au dessus de tout. Victoria donne de nombreux exemples. L'institution du sôtô tout comme celui du rinzai s'activèrent à apporter un support spirituel à l'appareil militaire et aux soldats sur le front. Nombre de célèbres généraux étaient les élèves privés de rôshi renommés. Des moines zen furent envoyés au front en tant qu'aumôniers et missionnaires.

Sôjiji, le siège sôtô, organisa un projet qui mobilisa toute l'école afin d'écrire à la main plus de dix millions de copies du Sûtra du Cœur, certaines avec du sang, afin d'accumuler des mérites pour l'effort de guerre. La plupart des étudiants zen sont familiers avec la dédicace formelle des mérites (ekobun) après la récitation des sûtras. Les deux écoles changèrent leur ekobun pour prier pour "la poursuite de la victoire dans la guerre sainte" et pour "la réussite militaire sans fin." L'école sôtô collecta de l'argent pour deux chasseurs, justement nommés Sôtô n° 1 et Sôtô n° 2. Pour ne pas être en reste, le grand temple rinzai du Myôshinji finança trois chasseurs pour la marine impériale. Le bodhisattva de la compassion, Kanzeon, fut officiellement rebaptisé "Kanzeon Shôgun" et fut invoqué pour amener une plus grande victoire dans la "guerre sainte" (C'est comme si on rebaptisait Jésus-Christ en Jésus-Général).


Kyôto - Université Hanazono - Institut des Études Zen. Je dois rencontrer Masataka Toga, le directeur de l'Institut et l'un des successeurs de Mumon rôshi. Hanazono est l'université de l'école rinzai et l'Institut est le bureau officiel de ses quatorze principaux temples.

"L'époque de la guerre", dit Toga, "est, de tous les sujets, le plus douloureux. J'aimerais ne jamais avoir à y penser." Pendant quelques années, il en a parlé, mais d'une manière discrète et personnelle. Il a participé à quelques conférences académiques. L'école rinzai n'a jamais parlé officiellement ou publiquement de ses activités pendant la guerre.

Lorsque nous discutons de la manière dont l'école rinzai pourrait en discuter plus ouvertement, nous entrons dans une espèce de choc culturel. Je lui demande s'il n'y aura jamais un congrès à l'échelle de l'école ou des articles publiés sur la guerre. Ce n'est pas comme cela que ça fonctionne dans le rinzai, m'explique-t-il. Il y a tellement de temples principaux, il n'existe pas d'approche unitaire ni de forum où l'on pourrait discuter d'un tel sujet. Il n'y aura pas d'échange ouvert. Et la guerre est trop récente, dit-il, "trop vivante" et "trop fraîche". Il serait irrespectueux de parler de tels sujets alors que nos aînés vivent encore. Dans tous les cas, de telles discussions se tiendraient en privé.

"Dans le zen japonais", m'explique Toga, "la loyauté est très importante. La loyauté envers son maître et la tradition est encore plus importante que celle au Bouddha et au dharma." Cela rend un débat sincère sur la période de la guerre difficile, tant de maîtres ont dit des choses qui pourraient être critiquables. Il en convient. Mais il ajoute que s'il devait remettre en question leurs enseignements, il lui faudrait quitter l'école. Il est visiblement mal à l'aise sur ce sujet. Lorsque je mentionne l'une des citations les plus extrémistes du livre de Victoria, où un maître zen déclarait que tuer est une pratique bouddhique, il la rejette en disant que "personne n'enseignait vraiment cela".

Je le quitte avec un sentiment de tristesse. Il y a tant de choses qu'il faudrait examiner, mais cette discussion me laisse peu d'espoir. Le Bouddha n'a jamais enseigné que la loyauté était plus importante que la vérité ou la compassion. La loyauté aveugle hors du zendô peut et a eu des résultats désastreux. Tant que ces postulats ne seront pas remis en cause, les racines de l'esprit guerrier du zen resteront bien vivantes.

La grande guerre du Japon débuta en 1931 avec l'invasion de la Mandchourie. A partir des années trente-cinq, les universitaires et abbés zen s'engagèrent dans une campagne intellectuelle afin de justifier leur participation dans la guerre. Ils enseignaient que la "guerre de compassion" était une pratique de bodhisattva qui était d'un grand bénéfice pour les ennemis du Japon. Ainsi que l'écrivit un philosophe sôtô : "Il n'y a pas d'autre choix que de mener des guerres de compassion qui donnent vie autant à soi-même qu'à son ennemi. Par la guerre de compassion, les nations en guerre peuvent s'améliorer et la guerre peut s'anéantir elle-même." Pendant ce temps, des millions de Chinois mouraient et leurs villes étaient anéanties.

En 1937, D. T. Suzuki terminait Zen and Japanese Culture, dans lequel il écrivait que le "zen traite la vie et la mort indifféremment" et qu'il est "une religion qui nous enseigne à ne pas regarder en arrière une fois qu'on a décidé de sa course." Il écrivait que le zen "n'a pas de doctrine ni de philosophie spécifique. Il est donc extrêmement flexible pour s'adapter à presque n'importe quelle philosophie et doctrine morale pour autant que son enseignement intuitif ne soit pas contrarié." Le zen peut être "marié à l'anarchisme ou au fascisme, au communisme ou à la démocratie [...] ou à tout dogme politique ou économique."

Quel est ce "zen" décrit par Suzuki ? Dans le "zen" de Suzuki, il n'y a ni enseignement ni attitude morale claire, on se contente de suivre les circonstances. Par exemple, si vous vous trouvez en Allemagne nazie, vous devez être un parfait nazi. Dans le "zen" de Suzuki, une fois qu'on a décidé d'une direction, on ne revient pas sur ses pas, même si elle cause de la souffrance ou qu'elle est idiote. Et dans son "zen", tuer est traité avec indifférence, de même, peut-on présumer, que les souffrances créées. Quel étrange "zen" est-ce là, et sans cœur! Il est évident que ce "zen" n'a rien à voir avec le bouddhisme mahâyâna qui enseigne la compassion et la sagesse. Peut-être nous faudrait-il lui trouver un autre nom ? Je soutiendrais qu'il y a deux courants dans le zen japonais : non pas sôtô et rinzai, mais un zen fondé sur la voie du bodhisattva et un autre fondé sur la voie du pouvoir de la volonté, de la non-pensée et de la loyauté - une voie indifférente au bien-être des autres et à la loi du karma.


Pendant que Suzuki écrivait ces mots, les troupes japonaises marchaient sur l'ancienne ville de Nankin. Ils allaient effectivement mettre en œuvre la foi dans le bushidô zen et "traiter la vie et la mort indifféremment." Ils ne se retournèrent pas. En décembre 1937, l'armée japonaise prit la ville qui était alors la capitale de la république chinoise. Le Japon en était à sa sixième année d'invasion de la Chine. Des millions de gens mouraient. Le Japon avait déjà conquis Pékin, T'ien-tsin et Shanghai.

Iris Chang, dont les grands-parents se sont enfuis de la ville juste avant sa chute, a écrit un récit brillant mais aussi effrayant de ce terrible chapitre de la guerre. Le Sac de Nankin : L'Holocauste oublié de la seconde guerre mondiale raconte enfin cette tragédie que de nombreux Japonais nient encore avoir jamais eu lieu.

Les envahisseurs japonais prirent le contrôle total de la ville le 13 décembre. En moins de sept semaines, il commirent "une orgie de cruauté rarement voire jamais égalée dans l'histoire du monde". Ils assassinèrent, violèrent et torturèrent près de 350.000 civils chinois. Dans ce bain de sang, plus de gens moururent qu'à Hiroshima et Nagasaki réunis. Pendant des mois, la ville fut remplie d'amas de cadavres en décomposition.

Presque 80.000 femmes furent violées et mutilées, beaucoup furent violées par des groupes entiers. Les soldats étripaient les femmes. Des pères furent forcés de violer leurs filles, des fils, leurs mères. Toutes sortes de tortures inhumaines furent pratiquées sans remords. Les enfants et les vieillards ne furent pas épargnés. Des milliers de jeunes hommes furent décapités, brûlés vifs ou utilisés pour l'exercice de la baïonnette.

Cela faisait des décennies que les dirigeants japonais diabolisaient les Chinois comme des "païens insoumis" selon l'expression de Sôen et de Suzuki. Un commandant déclarait ainsi à son unité : "Vous ne devez pas considérer les Chinois comme des êtres humains, ils ne sont rien, moins que des chiens ou des chats." Les Chinois étaient traités de "cochons", de "matériau brut" ou de ramassis.

La barbarie était si extrême que les nazis présents en furent horrifiés ; l'un d'eux déclara que ce massacre était le résultat d'une "machinerie bestiale". Chang relate l'anecdote suivante :

En enseignant aux nouvelles recrues japonaises la manière de décapiter les civils chinois, Tominaga Shozo rappelait comment le lieutenant en second Tanaka instruisait son groupe. "Les têtes doivent être coupées comme ceci" disait-il en dégainant son sabre d'ordonnance. Il écopa un peu d'eau dans un seau avec une louche et en versa des deux côtés de la lame. Il leva son sabre en un long arc de cercle en en secouant l'eau. Debout derrière le prisonnier, Tanaka se stabilisa, les jambes bien écartées et il coupa la tête de l'homme avec un cri, "Yo!" La tête vola à plus d'un mètre. Le sang jaillit du corps en deux fontaines et gicla dans le trou. La scène était si épouvantable que je ne pouvais plus respirer.

C'est là du bushidô zen en action : le meurtre considéré comme l'un des beaux-arts. On enseigne aux soldats la parfaite étiquette de la décapitation - la manière exacte de nettoyer l'arme, de la balancer, le puissant cri viril. Cette image en tête, relisons ce passage que D. T. Suzuki écrivit à la même époque que les massacres de Nankin :

L'art de l'escrime distingue l'épée qui tue et l'épée qui donne la vie. Celle qui est utilisée par un technicien ne peut aller au-delà de tuer. [...]. Le cas est totalement différent de celui qui a l'obligation de lever l'épée. Car ce n'est pas vraiment lui, mais l'épée qui tue. Il n'avait aucun désir de faire du mal à quiconque, mais voilà qu'apparaît l'ennemi qui se fait elle-même victime. C'est comme si l'épée rendait automatiquement la justice, qui est la fonction de la compassion. [...]. L'escrimeur se transforme en artiste du plus haut niveau, occupé dans un travail de la plus pure originalité.

A la lumière de Nankin, ce texte de Suzuki est grotesque. La justification spirituelle du meurtre et des brutalités de masse est sans conteste la pire des perversions imaginables d'une religion. Il est vraiment déplorable que le zen ait pu se livrer à une telle glorification des massacres. C'est de la pornographie, pas de l'art. De même, du point de vue du dharma, cet enseignement est aberrant à plusieurs niveaux.

De nombreux historiens ont eu du mal à comprendre la brutalité japonaise à Nankin. Le livre de Victoria fournit quelques pièces manquantes intéressantes pour comprendre la structure mentale des militaires japonais.

Ainsi que le raconte Chang : "Certains soldats japonais admirent qu'il leur était facile de tuer parce qu'on leur avait enseigné que comparée à l'empereur, toute vie individuelle - y compris la leur - n'avait aucune valeur." Un soldat japonais, Azuma Shiro, raconta que, pendant ses deux ans de formation militaire, "On lui enseigna que la 'loyauté est plus lourde qu'une montagne, et notre vie aussi légère qu'une plume.' [...]. Mourir pour l'empereur était la plus grande gloire, être pris vivant par l'ennemi, la plus grande honte. Si ma vie n'est pas importante, celle de l'ennemi devenait inévitablement encore moins importante. [...]. Cette philosophie nous a conduits à mépriser l'ennemi et, à terme, de le massacrer en masse et à maltraiter les prisonniers."

L'enquête prenante de Chang montre les conséquences réelles de cette philosophie religieuse viciée qui a supporté et encouragé la machine militaire japonaise.

Dans les années 70, ceux qui étudiaient le zen avaient leur bible, Les trois piliers du zen de Philip Kapleau. Les personnages de ce livre étaient le maître de Kapleau, Hakuun Yasutani rôshi (1885-1973) et son maître, Daiun Sogaku Harada rôshi (1870-1961). Kapleau disait de Harada : "Il a marié ce qu'il y avait de mieux dans le sôtô et dans le rinzai et sa combinaison est un bouddhisme vibrant qui est devenu l'une des grandes lignes d'enseignement au Japon, aujourd'hui." Ce que Kapleau a oublié de mentionner, ce qu'il ignorait probablement, c'était que Harada était l'un des va-t'en-guerre les plus enragés de la scène zen.

Selon Victoria, dès 1915, Harada enseignait le "zen de la guerre". Faisant de la guerre sa métaphore habituelle, il voyait l'univers entier comme étant en guerre. "Sans descendre dans les arènes de la guerre, il est impossible de connaître le dharma du Bouddha. On ne peut oublier la guerre ne fut-ce qu'un instant." Ecrivait-il. Cependant, dès le début des années 30, la guerre de Harada n'était plus guère métaphorique.

"L'esprit du Japon est la grande voie des dieux du shintô", prêchait Harada. "Il est l'essence de la Vérité. Les Japonais sont un peuple élu dont la mission est de diriger le monde. L'épée qui tue est aussi l'épée qui donne la vie. Les idées d'opposition à la guerre sont les opinions idiotes de ceux qui ne peuvent voir qu'un seul aspect des choses et non pas la totalité."

C'est Harada qui faisait de la loyauté sur le champ de bataille, marcher et tirer "la plus haute sagesse de l'éveil". Il en parlait comme d'un "zazen de combat, la méditation-reine". Quand le Japon commença à perdre, sa rhétorique devint encore plus extrême. En préparation d'une possible invasion, Harada appela le pays tout entier à vouloir mourir pour l'empereur. "Si vous voyez l'ennemi, vous devez le tuer. Vous devez détruire le faux et établir le vrai. Ce sont là les points essentiels du zen. On dit de plus que si vous tuez quelqu'un, il est bon que vous voyez son sang."

Personnellement, ce sont les mots d'Harada que je trouve les plus dérangeants. Pendant des années, j'ai lu et relu ses lettres dans Les trois piliers du zen, et j'y ai trouvé un enseignement vraiment inspirant. Comment quelqu'un d'aussi brillant d'un côté peut-il se montrer sans cœur de l'autre ? Est-ce là l'esprit d'un maître "éveillé" ?

Selon Victoria, après la guerre, Yasutani rôshi, le principal successeur d'Harada, fut un fervent nationaliste de droite et un anti-communiste. Utilisant également une langue au vitriol, Yasutani demandait à ce qu'on "écrase une à une" toutes les universités et appelait les syndicats des "traîtres à la nation".


Tôkyô. Centre administratif de l'école zen sôtô. Un immeuble de six étages contigu au Grand Hôtel de Tôkyô, tous deux propriété de l'école sôtô. Avec ses 15.000 temples, le sôtô est trois fois plus implanté que le rinzai.

En 1992, l'école sôtô a publié une "Déclaration de repentance" officielle. Et juste au moment où j'arrivais au Japon, elle publiait ses excuses pour ses activités durant la guerre dans son trimestriel anglophone. L'article disait :

L'école zen sôtô en tant qu'organisation religieuse a soutenu les actes d'agression du Japon en Chine. Sous le prétexte de soi-disant activités missionnaires outre-mer, elle a soutenu le militarisme japonais et a même participé activement à ce militarisme. Du point de vue des religieux, c'est extrêmement regrettable. A moins que cet héritage négatif de l'école ne devienne un véritable examen d'auto-critique, il sera impossible d'ouvrir nos cœurs vers les autres peuples dans un esprit d'échange véritable.

En le lisant, je me souviens de l'enseignement de maître Dôgen sur le repentir (sange), qui est considéré comme une porte d'entrée dans le zen sôtô. Avant qu'une personne ne prenne les refuges traditionnels, elle reconnaît toutes ses fautes antérieures causées par l'avidité, l'aversion et l'illusion.

Je rencontre Lester Yoshinami de la Division Internationale qui m'explique comment la direction sôtô s'est ouverte à l'auto-critique pendant ces dernières années. En 1980, l'école a publié une Histoire des activités missionnaires d'outre-mer du zen sôtô, un livre de propagande sans aucun discernement qui glorifiait sa conduite pendant la guerre et ses efforts pour diffuser le zen japonais en Chine et en Corée. Cette publication a provoqué un réexamen à l'échelle de l'école de ses activités pendant la guerre, et tous les exemplaires en circulation ont été retirés. Cette revue trimestrielle est remplie d'autres articles et comptes rendus critiques.

Mais Yoshinami me dit que la guerre n'est pas actuellement un sujet de prime importance pour l'école sôtô. Son attention se porte sur les droits de l'homme des buraku, les intouchables de la société japonaise. Mais il existe une volonté d'affronter la guerre. "Il s'agit d'une question importante au Japon, pas seulement pour l'école zen", dit-il. "Nous ne voulons pas reconnaître nos crimes de guerre." Il parle des différentes façons d'élargir le débat dans le futur. A la différence du rinzai, il y a ici un esprit d'auto-critique.

Le Bouddha a dit une fois que tout comprendre, c'est tout pardonner. Ce qui s'est passé au Japon doit être examiné dans ses moindres détails, afin qu'il soit bien compris et transfiguré. Le maître zen Hakuin enseignait que : "Là où il y a un questionnement complet, il y aura une expérience complète de l'éveil."

Il est crucial de ne pas voir cela simplement comme un problème politique japonais. L'appareil du zen ne s'est pas contenté de suivre le char des musiciens militaires, il dirigeait souvent l'orchestre. Placer ce qui s'est produit dans le contexte de l'histoire et de la politique ne réduit en rien la responsabilité de la tradition zen.

Dans le zen, il y a cette image ancienne d'une boule de fer chauffée au rouge qui reste coincée dans la gorge et qu'on ne peut ni recracher ni avaler. Pour le zen japonais, la guerre est une boule de fer. C'est un énorme kôan tout vif. Il ne disparaîtra pas, même lorsque les derniers survivants seront morts. Il doit être sincèrement étudié si le zen veut rester une tradition sensée et authentique. La négation de la vérité est la négation de l'éveil.

Cette totale trahison de la compassion n'a pas simplement eu lieu pendant la seconde guerre mondiale. Pendant six cents ans, s'est vanté un maître zen, l'école rinzai a été occupée à "l'amélioration de la force militaire". Pendant des siècles, le zen a été intimement mêlé à la voie du meurtre. C'est la simple vérité. Bien sûr, seuls quelques temples et quelques enseignants y ont été mêlés, mais cet aspect du zen a fait partie intégrante de la culture japonaise et y a même prédominé pendant presque un siècle. En fait, les extrémités de la guerre ont vu la pleine floraison de ce zen sans cœur qui s'était développé au Japon. L'épée était réelle et des millions de gens sont morts. Les situations les plus excessives nous montrent ces déformations intrinsèques qui existaient depuis l'origine.

Pour de nombreux étudiants du zen, le plus difficile sera de se confronter aux phrases et aux actes de ces maîtres zen si estimés. Comment pouvons-nous gérer ces contradictions désarmantes ? Ceux-là étaient les bouddhas vivants de la tradition zen, des hommes considérés comme "complètement éveillés", ils avaient expérimenté le satori, s'étaient soumis à un entraînement intensif et avaient reçu la transmission officielle et les sceaux de l'enseignement. Nombreux étaient parmi eux les enseignants charismatiques et les maîtres ès-kôan. Et, en même temps, ces mêmes maîtres zen, ont été emportés par l'illusion nationaliste. Ils ont perverti les enseignements bouddhiques et zen et ont montré un manque total de compassion et de sagesse. Ils ont participé directement à la mort de dizaines de millions de personnes. Il n'y a pas de pire abus du dharma.

Par quel mécanisme ? On ne peut se contenter d'ignorer ou de balayer négligemment cela comme un problème mineur. Ou bien ces maîtres n'étaient pas "éveillés", ou bien leur "éveil" n'incluait pas la compassion et la sagesse. De quelle sorte de zen sont-ils maîtres ? Ces questions ne sont pas censées être évoquées, encore moins examinées. Si elles ne peuvent l'être au Japon, alors nous le ferons ici, en Occident. Il nous faut nous poser ces questions même s'il est difficile d'y répondre ou qu'elles nous gênent. C'est vraiment trop important.

C'est notre kôan de la boule de fer. Quelle sorte de zen pratiquons-nous en Occident ? Pendant trop longtemps, nous nous sommes montrés plutôt naïfs et sans une once de jugeote. Le Bouddha n'a jamais enseigné que nous devions abandonner notre rationalité et notre intelligence. Pendant trop longtemps, nous avons accepté tous les enseignements orientaux avec une vénération enfantine, laissant nos facultés de réflexion en veilleuse. Peut-être qu'aujourd'hui, avec ces nouvelles révélations, est-il temps à nouveau d'honorer l'intelligence et le questionnement et de regarder plus soigneusement notre héritage et notre avenir. Le célèbre psychologue Robert Jay Lifton a dit que la religion pouvait être dangereuse. Il est essentiel de connaître les zones d'ombre des traditions spirituelles que nous suivons. A la lumière de Le zen en guerre, on voit que les ombres peuvent avoir des conséquences nocives. Nous ne les ignorons ou ne les nions qu'à nos propres périls.

Il nous faut comprendre le mécanisme du dévoiement de la voie du Bouddha en cette horrible forme de zen sans cœur. Il ne s'agit pas de pureté ou d'orthodoxie ; il s'agit de compassion et de compréhension. Il ne s'agit pas de condamner les Japonais, mais en tant que membres d'un même sangha, de nous aider mutuellement à nous éveiller de manière authentique.

Les traditions spirituelles passent aussi par des périodes de lumière et d'ombre, de splendeur et de corruption. Dans l'histoire des religions, le zen fait véritablement partie des grandes traditions. Mais il ne survivra que si nous pouvons faire face sincèrement à nos démons.

Brian Victoria a rendu un grand service au zen en consacrant tant d'années à ce dévoilement. Puisse-t-il porter ses fruits.


© 1998, Josh Baran. Pratiquant du zen et du dzogchen depuis de nombreuses années, Josh Baran vit aux États-Unis. Une version abrégée de ce texte est parue dans le magazine Tricycle (numéro de mai 1998). Reproduction interdite. [Télécharger et imprimer le texte complet au format pdf]


A lire sur le site :

La réaction de Gudô Nishijima rôshi à l'article de Josh Baran
Le zen en guerre, une note de lecture


Vous êtes ici : Sommaire général >>> Orient-Occident >>> La guerre sainte du Zen (Josh Baran)



| Accueil - Sommaire | La méditation | Activités - Groupes | L'enseignant | Toucher le cœur | Les rendez-vous | Qu'est-ce que le Zen ? | Orient-Occident | Essais | Causeries | Enseignements | Textes classiques | Télécharger | Le réseau BASE | Le blog zen | Bodhidharma | Dôgen | Gudô | Jiun sonja | Album photos | Expériences | Les digressions | Humour | Les bouquins | La foire aux questions | Poésie | Section membres | Les mises à jour | Le plan du site | Nous soutenir | Mentions légales |